Méditation pour le dimanche de la Passion (13 avril 2014)

Lettre de Paul aux Philippiens (2, 6-11)

« Le Christ Jésus, lui qui était dans la condition de Dieu, il n'a pas jugé bon de revendiquer son droit d'être traité à l'égal de Dieu; mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur. Devenu semblable aux hommes et reconnu comme un homme à son comportement, il s'est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu'à mourir, et à mourir sur une croix. C'est pourquoi Dieu l'a élevé au-dessus de tout; il lui a conféré le Nom qui surpasse tous les noms afin qu'au Nom de Jésus, aux deux, sur terre et dans l'abîme, tout être vivant tombe a genoux, et que toute langue proclame: «Jésus Christ est le Seigneur» pour la gloire de Dieu le Père. »

Mourir et …. Demeurer vif

Le récit de la Passion est au cœur de la célébration du dimanche des Rameaux. Il culmine dans la mort de Jésus sur une croix. Pour la foi chrétienne ce n'est pas seulement Jésus qui meurt, mais Dieu lui-même : le Fils de Dieu est là, cloué. A partir de sa foi en la résurrection, saint Paul médite ici sur le sens de cet événement, quand la puissance divine que l'on imagine illimitée est désappropriée de sa force. Les mots sont sans équivoque : dépouillement, condition d'esclave, abaissement, mort sur un gibet. Le terme de « kénose » résume ce mouvement : c'est l'acte de se vider, de se dépouiller. Demeurons là, ne serait-ce qu'un instant. À qui se laisse instruire par le Christ, il n'est pas besoin de grands détours philosophiques pour savoir qu'être passe par une dépossession. Avec la croix s'exposent la fragilité et la précarité de l'existence : même la vie de l'envoyé de Dieu se déroule sans grande assurance. Peut-être est-ce ce à quoi Jésus a acquiescé, car il ne semble pas soucieux de se conserver. Il s'affirme dans un mouvement de libre abandon de soi. Il vit sur le mode de la dépense généreuse, donnant l'impression de se livrer, de s'engager pleinement en chaque événement et en chaque rencontre. À rebours de l'égoïsme, la dépense est l'acte par lequel un être humain reconnaît et manifeste que la vie n'est vive qu'à être donnée.

Serait-ce la meilleure façon de se trouver ? En tout cas c'est la voie esquissée dans l'Évangile. Elle modifie des notions comme celles de gloire ou de grandeur en retournant bien des images contemporaines de la réussite humaine. Le plus grand dans le Royaume de Dieu n'est pas celui qui est bien en vue dans la société terrestre : «Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. »

L'excellence se montre dans l'inversion des signes : là où quelqu'un est porté à s'élever, il lui est demandé de s'abaisser. Ce passage par l'abaissement n'est ni humiliation ni anéantissement: «quiconque s'élèvera sera abaissé et quiconque s'abaissera sera élevé». C’est en allant jusqu'au bout du don de soi que Jésus atteint paradoxalement sa plénitude de vie et se mue en force de salut pour les autres. Nous savons tous un peu ce que cela veut dire : on peut se donner pour que grandissent ses enfants, pour un engagement généreux et solidaire, pour soutenir quelqu'un. Parmi les plus belles figures humaines il y a celles qui ont estimé que leur vie valait moins que ceux qu'elles défendaient : leur postérité leur demeure encore redevable.

Ajoutons que Jésus a été également «vidé » : son exécution visait son effacement de la mémoire collective et avec elle de pratiques jugées dangereuses pour la cohésion sociale. Repas pris avec les pécheurs comme un symbole d'un Dieu dont la puissance d'accueil est sans limites, fréquentation compatissante de personnes frappées de divers interdits religieux, pardon des péchés, priorité du service du prochain sur l'observance religieuse, tout cela va favoriser la constitution d'une ligue d'adversaires qui auront la peau de Jésus. Tenir aujourd'hui que cet homme de Dieu demeure vif au point de susciter encore des itinéraires et des vies habitées par le don, le pardon ou l'abandon, n'est-ce pas tout simplement maintenir vivant l'espoir fou que l'avenir de notre monde ne réside pas dans la puissance guerrière ou agressive mais dans le moindre geste de générosité et de bonté. Telle est la force dans laquelle Jésus a mis tout son cœur et qu'il comprenait comme étant le cœur même de Dieu.

Jean-Yves BAZIOU

Témoignage Chrétien N° 3582 DU 10 AVRIL 2014

Retour à l'accueil