A l’occasion de la Fête du travail : "Pour un travail... et un travail humain, agissons !", par Mgr Giraud
01 mai 2014Au 20 janvier 2011, l'INSEE a évalué le taux de chômage dans l'Aisne à 13,3 %, c'est à dire quatre points plus élevé que la moyenne française. L'Aisne est ainsi un des départements de métropole les plus touchés par le chômage et le nombre d'Axonais bénéficiaires du RSA ne cesse d'augmenter. Derrière ces chiffres, de véritables traumatismes naissent de centaines de suppressions d'emplois ou, d'une manière plus insidieuse, lorsque pour la 18ème fois on refuse un simple stage à un jeune, lorsqu'on impose des temps partiels avec des salaires injustes, quand un nouveau syndiqué se voit licencié un 24 décembre ou quand on supprime des moyens de santé dans des zones rurales comme la Thiérache, où il faudrait précisément plus de prévention et de moyens.
Inutile d'accumuler des chiffres ou d'égrainer une triste litanie, car il s'agit surtout de penser aux personnes, aux familles qui s'enfoncent dans des difficultés quotidiennes : le chômage de longue durée démolit et déshumanise. On voit aussi ce que produit l'absence ou la précarité du travail, surtout chez les jeunes. Personne ne peut se satisfaire de cette situation. Personne ne peut la déplorer sans essayer d'y porter remède. Une économie libérale débridée montre ses propres limites.
1. Pour un travail...
Il est universellement reconnu, que « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage. Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal. Quiconque travaille a le droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu'à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s'il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale. » (article 23 de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1948).
Le pape Benoît XVI vient de réaffirmer dans le même sens que le travail est un droit et constitue « un des éléments fondamentaux de la personne humaine comme de la société »(1). Le travail implique aussi des droits, comme l'écrivait son prédécesseur Jean-Paul II, béatifié en ce 1er mai 2011 : « On mésestime la valeur du travail et les droits qui en proviennent, spécialement le droit au juste salaire, à la sécurité de la personne du travailleur et de sa famille. »(2) La nécessité du travail est une évidence : il permet de vivre et de faire vivre son prochain, sa famille et la société.
2. ... et un travail humain,
Si l'absence de travail est ressentie, au-delà de la perte de revenus, comme une exclusion sociale, de même certaines formes de travail révèlent l'injustice qui pénètre profondément la vie sociale. Comme le souligne encore Benoît XVI : « Les conditions de travail difficiles ou précaires rendent difficiles et précaires les conditions de la société elle-même »(3). Le travail désocialise quand les horaires sont trop fragmentés ou effectués inutilement de nuit ou le dimanche, en trahissant le sens de ce jour. Le travail déshumanise quand le harcèlement moral augmente. Le travail use quand la fatigue nerveuse s'ajoute à la lassitude physique : déprime, désespoir, suicide...
C'est humiliant pour quelqu'un de dire qu'il est au chômage, qu'il vit du RSA et d'autres subventions. C'est éprouvant de vivre sous le seuil de pauvreté. C'est angoissant aussi pour un chef d'entreprise de licencier parce que la situation économique ou financière ne lui laisse aucune autre alternative.
Il faut du travail, mais il faut aussi que ce travail soit humain, épanouissant. Normalement, le travail humanise la société et les personnes elles-mêmes : par le travail, l'homme se réalise lui même comme personne humaine. L'homme se développe en aimant son travail ; l'homme se réalise dans le travail et par le travail ; l'homme donne toute sa valeur au travail qu'il exécute.
Jean-Paul II mettait en garde contre le danger, toujours présent, de traiter l'homme comme un instrument de production et non comme une personne. Le facteur humain devient trop souvent secondaire par rapport aux activités économiques. Or le travail doit respecter les personnes, les rythmes, les handicaps, les temps. Il ne doit pas mettre constamment sous pression : le travailleur n'est ni une marchandise, ni un taux de rentabilité, ni un effectif à réduire. Il est inhumain quand il conduit à trop de souffrances.
Ainsi « l'Eglise estime de son devoir de rappeler toujours la dignité et les droits des travailleurs, de stigmatiser les conditions dans lesquelles ils sont violés, et de contribuer pour sa part à orienter ces changements vers un authentique progrès de l'homme et de la société. »(4) Elle rappelle également, par la voix de Benoît XVI, la nécessité d'« un travail qui, dans chaque société, soit l'expression de la dignité essentielle de tout homme et de toute femme : un travail choisi librement, qui associe efficacement les travailleurs, hommes et femmes, au développement de leur communauté ; un travail qui, de cette manière, permette aux travailleurs d'être respectés sans aucune discrimination ; un travail qui donne les moyens de pourvoir aux nécessités de la famille et de scolariser les enfants, sans que ceux-ci ne soient eux-mêmes obligés de travailler ; un travail qui permette aux travailleurs de s'organiser librement et de faire entendre leur voix ; un travail qui laisse un temps suffisant pour retrouver ses propres racines au niveau personnel, familial et spirituel ; un travail qui assure aux travailleurs parvenus à l'âge de la retraite des conditions de vie dignes. »(5)
Nous savons que cet idéal peut paraître inaccessible, mais l'Église continuera de rappeler que pour servir l'homme et son avenir, il importe que notre société donne « comme objectif prioritaire l'accès au travail ou son maintien, pour tous »(6). Elle est engagée dans cette cause, parfidélité au Christ et pour être vraiment l'Église de tous les pauvres. Jésus, avant de parler et de proclamer l'Évangile, pendant ses trente ans à Nazareth, a été lui-même un travailleur. Son exemple nous parle déjà de la dignité de chacun, ainsi que de la dignité spécifique du travail humain.
3. agissons !
Dans la crise de confiance qui secoue profondément notre société il est urgent de ne pas nous replier dans l'individualisme. La solidarité ne doit pas faiblir. N'en restons pas à une simple analyse ou à une légitime indignation. Apportons notre soutien et soyons solidaires en vue du bien commun. Les solutions globales dépassent certes notre petite échelle, mais des initiatives sont à notre portée. Un engagement, une parole de confiance, une prise de conscience collective, un dialogue social sont autant de pas vers un travail plus humain. Présent dans l'Aisne depuis trois ans, j'ai vu et entendu à la fois des tristesses et des angoisses, mais aussi des joies et des espoirs portés par des associations de solidarité, des chantiers d'insertion qui aident à redonner une dignité humaine.
Les lueurs d'un avenir véritable ne viendront que de ceux qui proclament la grandeur de la personne du travailleur, qui soulignent des expériences positives, qui agissent dans des mouvements de solidarité avec des travailleurs, qui osent entreprendre pour maintenir et créer des emplois, qui s'emploient à promouvoir une véritable solidarité entre les partenaires sociaux. Il faut manifester l'espoir d'une vie meilleure par un développement juste et durable, dans une économie sociale et solidaire : notre société en est responsable et ne doit pas renoncer à cette mission.
Ensemble soutenons, réconfortons, encourageons chaque effort destiné à garantir à tous un travail sûr, digne et stable, au service de la grandeur de l'homme. Agissons afin de vivre une humanité fraternelle et pour que le travail soit... et qu'il soit humain !
+ Hervé GIRAUD, évêque de Soissons, Laon et Saint-Quentin
avec les Conseils diocésains de la solidarité et de la Mission ouvrière