Les jésuites aussi voient une Europe en «quête de sens»
14 mai 2014L'ordre religieux catholique profite de la campagne électorale pour défendre une conception de l'Europe, loin des replis identitaires.
Devinette. Combien y a-t-il de jésuites dans l’Union européenne? 5003, très exactement, soit plus du quart des effectifs mondiaux de la Compagnie de Jésus, l’ordre religieux masculin qui, par ailleurs, est le plus puissant numériquement au sein de l’Eglise catholique. Et quel est le pays parmi les 28 membres de l’Union qui compte le plus grand nombre de jésuites? L'Espagne, terre natale du fondateur Ignace de Loyola, avec 1300 jésuites. Que la Compagnie de Jésus ait un tropisme européen, c’est donc quasi génétique. «Nos fondateurs eux-mêmes venaient de différents pays», rappelle Arnaud de Rolland, le bras droit du provincial (le «boss») en France.
Alors les élections européennes valaient bien, ce mardi, pour les jésuites français, pourtant peu habitués à l’exercice, une conférence de presse. Il s’agissait d’abord de rappeler que le projet européen est «une utopie», toujours en devenir, à relancer finalement et un projet, pointe François Boëdec, responsable du département d’éthique publique du centre Sèvres, «en quête de sens» et de «spiritualité».«L’Europe a toujours avancé à coups de compromis», reconnait-il aussi. Bref, au temps de la méfiance face à une Union vue seulement comme technocratique ou économique, il s’agit surtout de lui trouver un nouveau souffle.
PLUSIEURS CONCEPTIONS CHRÉTIENNES DE L'EUROPE
Mais pas de question de relancer la vieille querelle des racines chrétiennes de l’Europe, de défendre, en tant que telles et pour elles-mêmes, des valeurs ou une identité. «Même si la dimension chrétienne de l’Europe est évidente», souligne François Euvé, le directeur de la revue Études. Cette identité, quoi qu’il en soit, s’est construite dans «la pluralité». «La théologie catholique médiévale doit beaucoup au dialogue qu’elle a entretenu avec le judaïsme et l’islam», poursuit le directeur d’Études. En Europe, le christianisme est lui aussi pluriel, catholique et protestant à l’ouest et majoritairement orthodoxe à l’est. Contre le repli identitaire, les jésuites plaident pour le renouvellement de la culture du débat et du respect justement de la «pluralité».
«Les chrétiens eux-mêmes n’ont pas la même conception de l’Europe», reconnait d’ailleurs volontiers, François Boëdec. Ou les mêmes priorités. Chacun s’accorde à faire du respect de la dignité humaine, l’un des axes fondamentaux du combat des chrétiens en politique. Reste que cet étendard est brandi autant par les tenants de la Manif pour tous et les pro-life que par les tenants du christianisme social, préoccupés d’abord de justice sociale. Si la transition énergétique et écologique est l’un des grands chantiers, de l’Union européenne, selon les jésuites français, peut-elle se faire sans justice sociale ? «Huit millions de familles françaises doivent déjà arbitrer entre se nourrir, se chauffer ou se déplacer», relève Bertrand Hérard Dubreuil, directeur du Ceras, un think tank chrétien de pensée sociale. Très sollicités depuis l’élection du pape François, le premier jésuite à occuper le poste, ses confrères ont visiblement à cœur d’incarner eux-mêmes la pluralité et à montrer la diversité politique et sociale des chrétiens.