Prier, quand la colère gronde ?
05 mai 2014Question à Jean-Luc RAGONNEAU, Jésuite
Je suis le papa de Chloé bébé décédée a Chambéry des suites d’une bactérie retrouvée dans des poches parentérales, son décès a été suivi par deux autres bébés décédés des mêmes causes . A l’annonce du décès j’ai eu une réaction de révolte envers Dieu, mais très vite je me suis remis moi ma famille et toute ces familles endeuillées entre les mains de notre Seigneur. Ma paroisse m’aide beaucoup à surmonter cette douleur. Je continue à prier pour nos enfants et je demande tous les jours au Seigneur d’aider la justice des hommes à trouver ce qu’il s’est passé, nous avons besoin de savoir, de comprendre. Ensuite je remettrais les responsables entre les mains du Seigneur car c’est devant lui qu’ils seront vraiment jugés. L’enquête a été confiée au pôle de santé de Marseille. Pouvez-vous prier pour que je puisse moi aussi pardonner quand j’aurai devant moi le ou les responsables de la mort de nos enfants ? La lecture de la Bible m’aide beaucoup mais je n’arrive pas à adopter une attitude toujours calme et par moment je n’arrive même plus à prier, tellement la colère m’envahit. Avez-vous un conseil à me donner pour que la prière prenne le dessus dans ces moments difficiles ?
En lisant ce témoignage, chacun ne peut qu’être touché ! Ensuite, il faut accepter humblement de ne pouvoir que balbutier, en sachant que « mes » mots ne peuvent qu’être extérieurs au drame évoqué. Enfin, assurer de ma prière et - je pense - de celle de tous ceux qui liront ce témoignage [que nul n’hésite à mettre un mot pour celui est notre correspondant à tous]. Pour autant, il n’est pas possible de se réfugier dans un silence douloureux, même habité par la prière. Nous avons un devoir de solidarité, de présence, d’accompagnement. D’où les lignes qui suivent, sur lesquelles j’ai beaucoup hésité... Vous comprendrez pourquoi !
« Une réaction de révolte », écrivez-vous. Elle est bien naturelle : quel père ne se révolterait pas et j’ose croire que le coeur du Père est aussi affecté. Cette « révolte » dit la profondeur de votre amour pour ces êtres attendus. Elle exprime votre lien déjà établi avec ces enfants, mais aussi celui noué avec Dieu. Simplement qu’attendre de lui ? Peut-être pas ce que nous souhaiterions, à notre niveau. Prier Dieu, ce n’est pas se tourner vers un « Père Noël » soucieux de se plier à toutes nos demandes, mais lui demander « sa » force pour accueillir ce que la vie nous conduit à créer, à subir, à trouver, à perdre, à espérer ou à pleurer... « Père, s’il est possible que cette coupe passe loin de moi... mais non pas ma volonté, mais la tienne » [Matthieu 26, 39]. Avec Jésus à Gethsémani, la face contre terre. C’est la présence du Père qui le relèvera [verbe de la résurrection] pour aller vers l’accomplissement de sa mission. Attention, Dieu n’est pas responsable de ce dysfonctionnement de la nature ou de cette erreur humaine ; il est responsable du dynamisme qui vous tient debout pour mettre votre confiance en lui.
Quand vous dites que vous continuez à « prier pour nos enfants », avec le soutien de votre paroisse. C’est l’expression de la fidélité, la vôtre pour vos enfants, la vôtre dans votre relation à Dieu, mais aussi celle de Dieu qui met en vous les mots pour dire votre révolte, votre souffrance, votre espérance de trouver en lui de continuer, celle de Dieu qui brise le mur du silence qui serait destructeur. Il est là présent et vous donne la parole. Prier pour vos enfants, oui ! Mais aussi, ils sont maintenant vos intercesseurs auprès de Dieu, prier avec vos enfants !
Votre souci que la justice fasse son travail est normal, s’il y a des responsabilités non assumées et/ou des défaillances d’autrui. Cela n’est plus de votre ressort au-delà de ce que vous avez fait. En vous lisant, je pensais à la distinction qu’il importe de poser entre « pardon » et « réconciliation » [et qui malheureusement n’est pas suffisamment prise en compte]. Pardonner, ce n’est pas effacer [supprimer, oublier,...], c’est croire que demain est possible... autrement ! Le refus du pardon ronge, détruit à l’intérieur de soi et peut laisser la haine [la rancoeur, la volonté de détruire,...] envahir l’être, en figeant dans le passé, en expulsant l’amour, en ruinant tout avenir. Pardonner, c’est vouloir vivre, sans se laisser détruire par le mal ressenti. Pardonner, c’est aussi rompre le cercle du mal qui peut faire de nous nos propres prisonniers, si nous ne le brisons pas. Pardonner, c’est se libérer pour pouvoir travailler à plus de justice. Mais n’oublions pas que pardonner et se réconcilier sont deux moments différents. Comme l’écrivait le Père Marliangeas, dans La Croix en mai 2013 : « On peut vouloir pardonner sans pouvoir se réconcilier, ne serait-ce que parce qu’il faut être deux pour cela. Quand l’offenseur reste dans le déni et ne reconnaît pas ses actes, il n’y a pas de réconciliation possible, mais le pardon peut être donné par l’offensé. Ainsi, Jésus n’est pas mort réconcilié avec les autorités juives qui l’avaient condamné à mort, mais il leur avait pardonné ». Il importe de pardonner pour garder le coeur ouvert à la vie, ouvert à Dieu ; le temps de la réconciliation viendra... s’il vient !
Que votre prière [personnelle ou en communauté] souffre de « distractions » ... Certainement ! Que la colère vous envahisse, aussi ! Il y a des expériences existentielles où la manière de prier du « psalmiste » est la nôtre, quand il s’adresse à Dieu avec force, avec rudesse, voire avec violence... mais n’est-ce pas là crier son espérance que lui seul peut nous donner ce que nous cherchons sans toujours sa voir le formuler. Il vous est peut-être nécessaire d’apprendre à prier avec ce qui fait votre humanité, c’est-à-dire votre douleur, votre chagrin, votre incompréhension,... tout en vous souvenant que Dieu, en se faisant homme, n’est pas venu expliquer le mal ou la souffrance, mais est venu les partager pour les porter avec nous. Quand vous criez votre colère, le Christ, lui, prie avec vos mots son Père, dans l’Esprit d’amour qui les unit.
Soyez assuré de ma prière et acceptez ces balbutiements comme un désir d’ouverture pour votre quête.
Jean-Luc RAGONNEAU, Jésuite