Irak : les chrétiens sous la menace
19 juin 2014La prise de la province de Ninive par les forces de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) a semé la panique et l’effroi parmi la population, notamment dans les communautés chrétiennes du Nord irakien. Alors que l’urgence s’organise pour secourir les milliers de réfugiés, les djihadistes resserrent l’étau autour de la capitale Bagdad.
C’est un courriel qui a sonné le tocsin. Envoyé comme une bouteille à la mer par un frère dominicain de Qaraqosh, ville du nord de l’Irak, il est passé de messagerie en messagerie pour être réexpédié, mardi 10 juin 2014, en fin d’après-midi, sur la boîte aux lettres électronique de Pèlerin. « Catastrophe à Mossoul », titre le courrier. La suite n’est pas moins inquiétante.
« Je vous écris dans une situation très critique et apocalyptique de violence à Mossoul. La plupart des habitants ont déjà abandonné leur maison (…). Plusieurs milliers d’hommes armés des groupes islamistes de Daech (NDLR : acronyme arabe pour désigner l’État islamique en Irak et au Levant) ont attaqué la ville depuis deux jours. Ils assassinent petits et grands.
Des centaines de cadavres sont abandonnés dans les rues et dans les maisons, sans pitié », rapporte frère Majeeb. Le tableau d’horreur ne s’arrête pas là. « Dans les mosquées, on crie “Allah Akbar, vive l’État islamique”. À Qaraqosh, les réfugiés s’entassent, sans nourriture. Aux check points, les forces kurdes empêchent les vagues innombrables de réfugiés d’entrer au Kurdistan », poursuit le religieux avant de conclure, dans l’urgence : « Les voici. Ils sont entrés dans Qaraqosh et nous sommes tous entourés et menacés par la mort… Priez pour nous. » Des mots qui font froid dans le dos.
À chaque secousse, la ville perd de son effectif chrétien
L’assaut spectaculaire lancé par les forces djihadistes de l’EIIL contre Mossoul, la seconde ville du pays, a semé un vent de panique et d’effroi dans toute la plaine de Ninive qui s’étend entre les montagnes du Kurdistan, à l’est, et le désert syrien, à l’ouest.
La tactique s’avère d’une redoutable simplicité : dans la nuit du lundi 9 juin 2014, des colonnes de pick-up chargés de combattants cagoulés et battant le pavillon noir du mouvement foncent sur le centre-ville et prennent sans coup férir le siège du gouvernorat et les principaux bâtiments officiels, ne rencontrant qu’une faible résistance des forces de police ou de l’armée qui ont préféré battre en retraite.
Poussant leur avantage, les insurgés se dirigent alors vers la ville chrétienne de Qaraqosh, à 40 km plus à l’est, avant d’obliquer vers le sud, en direction de Bagdad, situé à quelque 350 km à peine. Pour échapper au chaos, des dizaines de milliers de personnes – 500 000 selon l’Organisation internationale pour les migrations, basée à Genève – se sont alors lancées sur les routes pour se placer sous la protection des peshmergas, ces combattants kurdes qui contrôlent les points de passage vers Erbil, principale ville du Kurdistan autonome.
Parmi eux, sans doute, quelque 20 000 chrétiens qui vivaient jusque-là, dans la sécurité toute relative des villes et villages leur servant de refuge depuis l’intervention américaine de 2003.
« La chute de Mossoul est un nouveau traumatisme pour cette population. À chaque secousse, la ville perd un peu plus de son effectif chrétien », souligne ainsi Mgr Georges Casmoussa, ancien évêque syro-catholique de la cité, désormais installé au Liban après avoir été enlevé et menacé de mort par les islamistes.
Avant la guerre, l’ancienne Ninive biblique, siège de quatre évêchés – syro-catholique et syro-orthodoxe, chaldéen et assyrien – comptant plus d’une trentaine d’églises et monastères, abritait environ 60 000 chrétiens sur une population totale de 1,8 million.
Un chiffre qui s’est réduit comme peau de chagrin. « À l’échelle du pays, le bilan est encore plus préoccupant. En 2003, le nombre de chrétiens irakiens avoisinait 1,5 million. Ils pourraient n’être aujourd’hui plus que 200 000.
En dix ans, les violences et la pression islamiste ont réduit ces communautés à une infime minorité sans défense, dont tout le monde se contrefiche… sauf le Vatican », s’indigne Marc Fromager, directeur de Aide à l’Église en détresse.
Arrivera-t-on à éviter le scénario du pire ?
Proies faciles, les chrétiens d’Irak ne doivent, pour l’instant, leur salut qu’à leur « insignifiance » stratégique et l’exil forcé sous la protection des Kurdes, qui voient là une bonne occasion pour pousser leurs pions dans la région. Mais combien de temps durera le répit ?
Pour l’heure, au nom de l’islam sunnite, les djihadistes de l’EIIL et les tribus ralliées, poursuivent leur stratégie d’encerclement de Bagdad pour faire tomber le gouvernement chiite du Premier ministre Nouri Al Maliki.
Après les conquêtes, il y a cinq mois, de Fallouja et de Ramadi, deux grandes villes du gouvernorat d’Al Anbar, et celle, désormais acquise, de la province de Ninive, ils se sont lancés à l’assaut des régions de Tikrit et de Salaheddine, dessinant peu à peu, armes à la main, la carte du califat islamique dont ils rêvent. Un califat où, d’évidence, les chrétiens n’auront pas de place.
Un sursaut de la communauté internationale permettra-t-il d’éviter ce scénario du pire ? En attendant, il faut faire face à l’urgence, ce à quoi s’emploient les ONG, grandes ou petites, confessionnelles ou non.
Parmi elles, Fraternité en Irak, a lancé l’opération Urgence à Ninive pour soutenir les réfugiés et aider ceux qui le souhaitent à retrouver leur foyer. Son fondateur, Benoît Camurat, veut garder espoir : « Même aux heures les plus sombres, on est toujours surpris par la volonté farouche des chrétiens irakiens de vivre dans leur pays ! »