La Pentecôte : Babylone à l’envers !
06 juin 2014Actes des Apôtres 2,1-11
« Quand arriva la Pentecôte... ils se trouvaient réunis tous ensemble. Soudain, il vint du ciel un bruit pareil à celui d'un violent coup de vent : toute la maison où ils se tenaient en fut remplie. Ils virent apparaître comme une sorte de feu qui se partageait en langues et qui se posa sur chacun d'eux. Alors, ils furent tous remplis de l'Esprit saint : ils se mirent à parler en d'autres langues, et chacun s'exprimait selon le don de l'Esprit. Or, il y avait, séjournant à Jérusalem, des Juifs fervents, issus de toutes les nations qui sont sous le ciel. Lorsque les gens entendirent le bruit, ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient dans la stupéfaction parce que chacun d'eux les entendait parler sa propre langue. Déconcertés, émerveillés, ils disaient : « Ces hommes qui parlent ne sont-ils pas tous des Galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, des bords de la mer Noire, de la province d'Asie, de la Phrygie, de la Pamphylie, de l'Egypte et de la Libye proche de Cyrène, Romains résidant ici, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons proclamer dans nos langues les merveilles de Dieu. »
L'heure est venue. » Jésus a disparu. Ses disciples les plus proches se sont enfermés dans un espace clos. Que vont-ils faire maintenant? Vivre de nostalgie ou de regret ? Se replier sur eux-mêmes et se protéger ? Retourner à leur point de départ? Mais quelque chose advient. Le mythe de la Pentecôte raconte qu'il y eut un grand bruit, comme un violent souffle. La communication interne au groupe est donc troublée : les disciples ne peuvent plus s'entendre entre eux. Il leur faut inventer un nouveau mode de communication.
Là où entre l'Esprit, les cénacles fermés deviennent inhabitables. Il est la surprise de Dieu, le trouble-fête qui met en mouvement et suscite un départ. Il est le passe-muraille des bastions les plus verrouillés. Les disciples sortent et se mettent à parler en une variété de langues. La rumeur concernant Jésus va devenir multiculturelle, pluriethnique, multiraciale. Luc, l'auteur des Actes, concentre deux dimensions de cette dilatation. La première est qu'elle se passe à Jérusalem : c'est honorer l'indépassable origine juive de l'Eglise. La seconde est l'émergence d'un peuple polyglotte et fourre-tout, ouvert à toutes les contrées et à tous les individus. Un corps social, un peu à l'image du cœur de Dieu, en qui coexistent plusieurs demeures.
La Pentecôte inverse Babel. Elle inaugure un peuple sans frontière, porteur de l'utopie de la communauté rare, là où l'on se parle dans l'estime. Habiter et aimer la diversité humaine. Eh bien ! Que souffle cet Esprit. Qu'il habite la polyphonie humaine. Qu'il soit le trait d'union de nos langages, de nos cris de colère et de révolte, de nos chansons d'espoir et de liberté, de nos aveux d'amour, de nos rires de joie, des délires des fous, des poèmes de nos beaux jours et de ceux de nos tristesses, des musiques et des danses de toutes les fêtes.
Merveilleuse la terre qui s'orchestre en une symphonie de langues. Vue à partir de cet horizon, l'Église apparaît comme pouvant faire savourer l'avant-goût d'une humanité réconciliée avec ses différences. Etrange identité chrétienne : bariolée, comme revêtue d'un manteau d'arlequin, sans cesse mouvante et instable, car ouverte sur l'autre.
Elle se construit de la dynamique de la communication. Elle s'essouffle et s'étiole quand elle se protège de ceux qui sont au loin. Peut-être est-elle en mesure de déchiffrer le message spirituel qui est dans l'air de notre époque et qui nous annonce que nous devons changer notre manière de vivre et de penser, de telle sorte que la coexistence des diversités avec une humanité désormais globale soit possible ? Car nous vivons une période où l'universalité devient partout concrète. En chaque espace, l'étranger est là, devenu notre voisin. Il nous faut donc trouver les moyens d'une coexistence qui est inédite à l'échelle de l'histoire. Des nations cherchent à construire des murs. Mais elles n'empêcheront pas l'inexorable mouvance des peuples qui les conduit à se mêler et à partager le monde désormais commun.
Jean-Yves BAZIOU
Témoignage Chrétien N°3590 DU 5 JUIN 2014 page 4