LES CHRÉTIENS D’IRAK VONT-ILS DISPARAÎTRE ?

Le 10 juin, à 23 heures, une famille parmi beaucoup d’autres a quitté Mossoul à pied, fuyant une ville qui tombe aux mains des djihadistes. À 15 h le lendemain, par 40 °C, elle est arrivée dans la ville chrétienne de Qaraqosh. Près de 300 familles y sont désormais réfugiées. En deux jours, environ 500 000 personnes, dont quelques milliers de chrétiens, se sont enfuies de Mossoul pour se rendre en zone kurde. La prise de contrôle par les djihadistes de la capitale de la province de Ninive a été l’élément déclencheur pour ces chrétiens, les «derniers des Mohicans». Depuis plusieurs années, ils subissaient menaces, enlèvements, et parfois exécutions dans cette ville devenue peu à peu le bastion d’al-Qaida en Irak, puis de l’État islamique d’Irak et du Levant (EIIL). Certains vivent encore aujourd’hui à Mossoul et les églises n’ont pour l’instant pas été détruites, mais la charia y est désormais appliquée.

De fait, l’offensive des djihadistes n’est pas le premier épisode obligeant des chrétiens à quitter leur ville pour s’installer ailleurs ou partir à l’étranger. Depuis 2003, leur nombre n’a cessé de diminuer. Ils étaient environ 1,2 million à la chute de Saddam Hussein, ils sont maintenant entre 400 et 500 000, répartis entre les villages de la plaine de Ninive, notamment à Qaraqosh, qui compte 50 000 habitants presque tous chrétiens, mais aussi à Kirkouk ou Bagdad. Pris entre deux feux dans le conflit entre chiites et sunnites, ou, plus rarement, directement visés par des terroristes, plus de 1000 chrétiens ont été tués dont six prêtres et un évêque.

Depuis deux ans, la situation s’était stabilisée, mais l’avenir s’assombrit. «Nous en avons assez», souffle Sanaa, une chrétienne de Bagdad inquiète de l’avancée rapide des djihadistes vers la capitale. «Nous attendons un miracle, confie Rita, chaldéenne de Kirkouk, ville protégée par l’armée kurde. Pour le moment, nous continuons à travailler, mais qui sait comment cela peut tourner ?» Dans le doute, certaines familles chrétiennes ont préféré partir quelques jours à Erbil, la capitale de la zone kurde réputée plus sûre.

«Les chrétiens ont une double peur, explique Ameer Jaje, vicaire provincial des dominicains du monde arabe basé à Bagdad. Celle d’un islam radical qui imposerait la charia et ferait des chrétiens des sous-citoyens et celle de la division du pays en trois zones, sunnite, chiite et kurde. Ce serait très dangereux pour les minorités ! L’horizon est sombre, nous ne voyons pas clair…»

Dans ce contexte, quel avenir pour les chrétiens en Irak ? Les réfugiés de Mossoul rejoignent à Qaraqosh d’autres chrétiens. Comment trouver du travail, un logement, dans une ville surpeuplée, où la population a doublé en dix ans ? «Bien sûr, nous ne jugeons pas les gens qui décident de partir. La vie de l’homme vaut plus cher que sa terre, s’exclame Ameer Jaje, mais nous devons patienter. L’Église doit tout faire pour aider ces gens avoir une vie digne ici.» Pour le dominicain, impossible d’imaginer l’Irak sans chrétiens. «Notre présence est un signe d’espoir pour tout le pays, estime-t-il. Si nous disparaissons, si l’Irak n’est plus que d’une seule couleur, ce n’est plus l’Irak. Les musulmans modérés ont besoin de nous pour faire le changement.»

Pascal Gollnisch, directeur de l’Œuvre d’Orient, souligne, lui, la vitalité de l’Église irakienne. «Il faut regarder ce qui reste ! Les Églises orientales en Irak ont des écoles, des hôpitaux, un séminaire, des congrégations. Ce n’est pas une Église morte, mais une Église dynamique !» En Irak, plus qu’ailleurs, l’histoire du christianisme est jalonnée d’épreuves et de persécutions. «Jusqu’à présent nous avons toujours survécu, rappelle Ameer Jaje. La question à court terme n’est pas la disparition complète des chrétiens d’Irak, mais plutôt celle de l’Irak tel que nous le connaissons.»

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