Vive les Vacances, Vive la Retraite

Le vendredi 4 juillet 2014 au soir je vais partir en « vacances », en même temps que mes collègues enseignants et que les élèves du Lycée Public des Métiers du Bâtiment d’Evreux. Mais ces vacances auront cette année une saveur particulière puisqu’elles coïncident avec mon départ à la « retraite professionnelle ».

J’ai dépassé la limite d’âge de 65 ans (pour les fonctionnaires) depuis décembre 2013. Au moment de ce « passage » à la retraite je viens vous proposer un « message »… celle du « retour de mission » d’un « prêtre au travail » !

A l’âge de 16 ans (en 1965) j’ai fait la « rencontre » de la personne de Jésus-Christ dans l’Evangile et auprès de mes frères et cette rencontre a bouleversé ma vie. Elle m’a conduit à « le suivre » !…

J’ai été ordonné prêtre, pour la Mission de France, par le Père Matagrin, Evêque de Grenoble et Vice-président de la Conférence des Evêques de France, le 4 février 1978 (à 29 ans), alors que je travaillais à plein temps comme Analyste Programmeur à la Caisse d’Allocations Familiales de Grenoble.

J’avais débuté mon activité professionnelle par des jobs d’étudiants, pour financer une reprise d’études -en maîtrise d’Informatique- le 15 octobre 1969 (il y a 45 ans !). Je n’ai arrêté de travailler que durant trois années (de septembre 1973 à octobre 1976) pour me consacrer – à plein temps – aux études de théologie. Au long de ces quarante cinq ans, j’ai exercé des métiers bien différents : informaticien pendant 15 ans, puis formateur en informatique 12 ans, responsable de formation pour adultes puis professeur chargé de la formation en entreprise des jeunes de deux Lycées Professionnels pendant 12 ans. Depuis 1992, comme formateur au GRETA (l’organisme de Formation Continue des Adultes de l’Education Nationale) j’ai accompagné des jeunes et des adultes au chômage ainsi que des étrangers en difficulté « d’intégration ». Depuis 2006 j’accompagne des jeunes en échec scolaire ou en « décrochage », des jeunes étrangers déboutés du droit d’asile ou « sans papiers ».

Je n’ai jamais connu le chômage même si j’ai plusieurs fois perdu mon emploi (licenciements économiques, restructuration des services…). En 2002 alors que mon emploi au GRETA était en train d’être supprimé, j’ai eu la chance de pouvoir présenter et réussir un concours de titularisation de Professeur de Lycée Professionnel à Limoges.

A chaque appel de l’évêque de la Mission de France pour me rendre sur un nouveau « terrain de mission » j’ai pu retrouver du travail : à Grenoble en 1976, à Paris en 1985, à Evreux en 1988, à Vernon en 1995 puis à Evreux en 2006.

Lorsque mon poste de responsable de formation au GRETA a été supprimé, le premier septembre 2006, le rectorat de Rouen m’a nommé adjoint au « Chef de Travaux », chargé de la formation en entreprise des élèves de deux Lycées Professionnels publics d’Evreux à l’intérieur desquels j’avais crée des aumôneries en 1988 et 1989 à la demande du Père Gaillot, Evêque d’Evreux à l’époque (aumôneries disparues depuis). Je lis cette coïncidence comme un beau « clin d’œil » de la providence !

Le travail professionnel a toujours été le premier engagement de mon « ministère de prêtre ». Mais je n’ai jamais fait « carrière ». J’ai même fait une carrière « à l’envers » ! A deux reprises mon salaire a été divisé par deux : en 1985 en quittant Grenoble pour un poste à mi temps à Paris, puis en 1989 en démissionnant de mon job d’Informaticien à la CNAF à Paris pour devenir professeur d’informatique à Evreux. J’ai par ailleurs travaillé 18 ans (1985-2002) à mi-temps afin d’assumer les charges pastorales qui m’ont été confiées au cours de cette période (Service Jeunes de la Mission de France, Aumôneries scolaires, Pastorale des Migrants …). Comme ce deuxième mi-temps n’a fait l’objet d’aucune cotisation de retraite, le montant de ma pension s’en trouve lourdement amputé… j’assume !

L’engagement professionnel est un ancrage très fort dans le « monde réel » du point de vue économique, politique et social… C’est un facteur d’équilibre humain. On ne choisit pas son environnement et en particulier pas ses collègues de travail même si j’ai eu la chance de pouvoir choisir mes différents métiers. Au travail on est « jugé » sur ses actes. Ce qui compte c’est la compétence, l’efficacité… les résultats… sa capacité à travailler « en équipe »…Au travail on ne peut pas « tricher » ! Même si on croise aussi la compétition, les jalousies, les mauvais coups et les « relations tordues » !

Je retiens de ces quarante trois années d’activités professionnelles qu’elles m’ont permis de vivre un « ministère de la rencontre et du dialogue » !

J’ai tissé de nombreux liens avec « ceux qui m’ont été donnés » (Jean 17) comme autant de cadeaux. Ils ont été présents dans ma vie (8 heures par jour 5 jours sur 7, c’est beaucoup !) mais aussi dans ma prière et dans l’eucharistie !

Grâce à eux ma vie professionnelle a été un lieu de croisements, de carrefours entre des mondes qui ne se rencontrent pas souvent : rencontre entre la technique et l’humain, entre l’économique et le social, le profane et le religieux, entre l’incroyance et la foi !

Je n’ai jamais caché mon identité de prêtre sans jamais l’afficher ! J’ai été un parmi d’autres – sans chercher à me mettre en avant – en partageant la condition de vie de mes collègues de travail.

Cette situation d’être « à des croisements » a provoqué -« naturellement » - beaucoup d’échanges et de nombreuses rencontres : Toutes sortes d’évènements inattendus qui ont été autant de trésors sur ma route. Aujourd’hui je remercie le ciel et la providence qui m’ont toujours accompagné.

A une époque où les prêtres – dans notre vieille Europe - se font de plus en plus rares et où les curés sont les « pasteurs » de territoires de plus en plus étendus et de plus en plus peuplés (certaines paroisses comptent jusqu’à 20 .000 habitants dans notre diocèse !), une question grave se pose : comment rendre l’Eglise proche de ceux qui en sont éloignés dans un monde sécularisé et – en apparence – étranger à la foi ?

Aujourd’hui, alors que le ministère de prêtre au travail apparait pour beaucoup de chrétiens comme un « luxe » ou même comme du « gâchis » (!!), comment privilégier un ministère de la « proximité ? Que signifie « sortir de son propre confort et avoir le courage de rejoindre toutes les périphéries qui ont besoin de la lumière de l’Évangile» (Chapitre I paragraphe 1 de l’exhortation apostolique « la joie de l’Evangile » du pape François) ? Et cette invitation s’adresse à tous : évêques – prêtres – diacres et baptisés !

L’évêque de la Mission de France, Yves Patenôtre, continue d’ordonner –en 2014- des prêtres pour les envoyer dans le monde du travail !

Cette mission des disciples du Christ prend sa source dans le témoignage de Jésus telle que nous la rappelle le Concile Vatican II dans l’avant propos de la constitution « l’Eglise dans le monde de ce temps » ( « Gaudium et Spes » ), repris dans la prière Eucharistique pour les circonstances particulières (intercession n°3) : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. »

Le Concile Vatican II met en lumière la première mission du prêtre ( décret « vie et ministère des prêtres ») : « Annoncer l'Evangile à toute la Création » ! (avant même la célébration des sacrements et la responsabilité de Pasteur d'une communauté).

Annoncer l'Evangile, cela veut dire en être soi-même "pétri" : levain de la Parole de Dieu - Parole qui « lève » en nous et qui prend chair aujourd’hui !

Une Parole d'Amour, de Paix, de Justice et de Fraternité universels...

Annoncer l’Evangile c’est, à la suite de Jésus, franchir les barrières, abattre les frontières et les murs entre les hommes, travailler inlassablement à la Paix, à la Justice et à la Réconciliation en se mettant d'abord au service des petits et des pauvres !

C’est ce ministère même de la proximité que j’ai essayé de vivre et qui donne sens à mon « engagement ».

Je fais toujours mienne cette « vocation missionnaire » de l’Eglise que j’avais exprimée lors de la messe de mes 20 ans d’ordination, le 31 janvier 1998 à l’église de Vernonnet :

« Le prêtre est un accoucheur d’Eglise. Et la vocation de l’Eglise c’est d’être le printemps, le printemps de la Parole de Dieu ! Oui je crois que l’Eglise a pour mission d’enfanter la Parole de Dieu, Parole de vie. Et l’Evangile est une naissance, un commencement. Ce n’est pas un hasard si les deux premiers mots de l’Evangile de Jean sont «au commencement » ! Mais attention, à tout instant tout peut basculer : l’Eglise peut devenir une mère acariâtre, possessive, jalouse : C’est alors que la parole de vie devient lettre morte quand nous l’enfermons, comme les pharisiens, dans un code, des interdits ou des faux-semblants. Au contraire l’Eglise peut donner la vie, ouvrir une route à l’Esprit : l’Esprit qui fait de nous des hommes libres, affranchis de l’esclavage des idoles, du vertige du néant ou de la peur de vivre ! »

Voilà « du grain à moudre » pour ma retraite professionnelle. C’est un programme que je vais partager avec mon « équipe de mission » de la Communauté Mission de France d’Evreux : un prêtre, un diacre et six baptisés qui portons ensemble la responsabilité « d’annoncer l’Evangile aux hommes et aux femmes auxquels nous sommes « envoyés » !

« Bonnes vacances » à chacune et à chacun !

Avec toute mon amitié, ma solidarité et ma prière.

A Vernon, le 29 juin 2014 en la Fête des apôtres Pierre et Paul

Denis Chautard

Prêtre de la Communauté Mission de France

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