Homélie du 16° dimanche dans l’année A – 20 juillet 2014

Sagesse 12, 13.16-19 ; Psaume 85 ; Romains 8, 26-27 ; Matthieu 13, 24-43

Le bon grain et l’ivraie (le bien et le mal) poussent dans le même champ. A qui la faute ? Naturellement, on se tourne vers Dieu, le Créateur, qui a fait “l’homme à son image et à sa ressemblance.” Et on lui dit : “N’est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton champ ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ?” C’est vrai, si Dieu était bon, ou, comme disent les braves gens, “s’il y avait un Bon Dieu” pourquoi le mal ?

Réflexion 1 : le bon grain, c’est nous, et l’ivraie, c’est les autres : “Que fait donc Dieu, il faut les arracher, c’est simple”. Et comme Dieu ne répond pas, alors, on s’y met nous-mêmes, et on va extirper le mal de ce monde : quelques bonnes croisades, quelques purifications ethniques, quelques holocaustes, et tout ira mieux ! Le mal est clairement chez les autres. Et s’il faut des boucs émissaires, pas besoin de chercher loin : les Juifs, les Arabes, les fascistes, les Américains… bref, les mauvaisferont l’affaire. Dans l’histoire, à chaque époque, chaque pays s’est dressé contre d’autres en les accusant d’empêcher le monde de tourner rond. Au nom de la vérité, ou de la justice, ou de la religion, ou de la race, on a exclu, jugé, torturé. On a voulu“arracher l’ivraie.”

Réflexion 2 : le bon grain, c’est nous (oui, bien sûr, toujours). Mais les autres sont-ils totalement mauvais ? Et si c’était plus complexe qu’on le croyait à première vue ?

Réflexion 3 : avec le temps, un brin d’honnêteté peut nous amener à convenir qu’il y a peut-être aussi du mauvais chez nous. Et que, finalement, c’est plutôt bien pour nous que Dieu n’arrache pas le mauvais trop vite.

Et voilà qu’on se met à réfléchir. Ou bien Dieu créait des robots programmés dans un monde parfait, bien huilé, mais un monde de machines. Ou bien il créait des êtres libres, avec les conséquences de la liberté humaine. Et c’est ce qu’il a fait, même si cette réponse classique n’est pas si facile à admettre quand “on voit ce qu’on voit”, comme on dit, le mal en particulier. Réfléchissons encore : quand nous voulons libres notre mari, notre épouse, nos enfants, telle personne dont on est solidaire, ce n’est pas si simple. Et toutes les fois que quelqu’un souffre qu’on “marche sur ses plates-bandes”, ou qu’on veuille faire les choses à sa place, ça réagit : “Je ne suis plus un bébé”, dit le petit ; “Je suis capable (je suis cap)”, dit le plus grand ; “Je suis majeur”, dit le jeune ; “Je ne suis ni ta bonne, ni ton esclave”, dit le conjoint malmené.

Dieu veut l’homme libre et l’apprentissage de la liberté dure toute une vie. Cette histoire d’ivraie et de bon grain comporte une dimension de longue durée : “Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson !” L’objectivement bon ou mauvais à tel instant existe-t-il ? En tous cas l’irrécupérable n’existe pas pour Dieu et c’est tant mieux pour nous. Saint Augustin et bien d’autres ont mal commencé et plutôt bien fini. “Laissez-les pousser jusqu’à la moisson !” On ne pourra se prononcer qu’à ce moment, lorsqu’apparaîtra ce qui était invisible auparavant. Quand le levain est dans la pâte, apparemment, rien ne se passe, mais après quelques temps, tout a changé, une réalité nouvelle est apparue.

Les paraboles que nous venons de lire disent le Royaume de Dieu en termes de croissance. Alors il faut les lire avec le regard de Dieu, un regard patient et un regard confiant :

- un regard patient : Dieu fort est patient. Énervements et violences sont des signes de faiblesse. La vraie autorité est toujours indulgence. L’autorité consiste à autoriser.

- un regard confiant : avec le levain, rien de visible à l’œil nu ; et la taille de la graine est souvent minuscule ; avec l’ivraie, on ne voit que du mauvais. Mais nous croyons qu’il y a autre chose. Il y a l’autre, image de Dieu. Il y a le frère, comme le dit cette parabole merveilleuse, peut-être de Sœur Emmanuelle : Sur un sentier raide et pierreux, j’ai rencontré une petite fille qui portait sur le dos son jeune frère. – “Mon enfant, lui dis-je, tu portes un lourd fardeau.” – Elle me regarda et dit : “Ce n’est pas un fardeau, monsieur, c’est mon frère.” Je restais interdit. Le mot de l’enfant s’est gravé dans mon cœur. Et quand la peine des hommes m’accable, que tout courage me quitte, le mot de l’enfant me rappelle : “Ce n’est pas un fardeau que tu portes, c’est ton frère.”

Robert Tireau, Prêtre du Diocèse de rennes

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