Homélie du dimanche 17 août 2014

Isaïe 56, 1.6-7 ; Psaume 66 ; Romains 11, 13-15. 29-32 ; Matthieu 15, 21-28

Dans l’évangile de la semaine dernière, Pierre se voyait qualifier durement par Jésus : “Homme de peu de foi.” On fait forcément le lien avec notre texte d’aujourd’hui où Jésus a une phrase tout différente pour la Cananéenne : “Femme, ta foi est grande !”

Il semble bien qu’il y ait eu évolution de Jésus dans sa conception du salut : il le croyait d’abord réservé à Israël, puis petit à petit plus largement offert. Peut-être que son évolution a pu être favorisée par l’audace de cette étrangère. Il lui en fallait en effet parce qu’entre les juifs et les cananéens ce n’était pas le grand amour, et parce que la cananéenne avait le défaut supplémentaire d’être une femme.Irrésistible audace de cette femme, mais magnifiquement doublée d’un réalisme respectueux des préséances d’Israël. Quand Jésus est très dur avec elle en évoquant le pain des enfants qu’on ne peut donner aux chiens, elle attrape au vol le mot blessant et parle de se contenter des miettes qui tombent de la table des maîtres. Elle invite ainsi Jésus à aller jusqu’au bout et on le voit craquer. Il est émerveillé : “Femme, ta foi est grande !” Et l’enfant est guéri.

Le récit laisse entendre que c’est ce langage du cœur qui a touché le Christ, comme s’il était lui-même en train de se convertir, de se laisser toucher par la détresse d’une personne qui n’est pas de son peuple. Il vient manifestement de passer une nouvelle frontière intérieure. Dans sa conscience d’homme, il vient de découvrir que le don de Dieu est pour tous les hommes. La répartie de cette étrangère aura été d’une portée humaine et religieuse sans limite.

L’Evangile semblerait dire que la femme sait mieux demander que l’homme. Que ne tenterait-elle pas quand il y va de la vie du fruit de ses entrailles, c’est à dire de la vie d’un de ses enfants ! Cette foi de la Cananéenne, si elle est confiance totale en Celui qui peut tout, elle est aussi confiance en sa mission de mère qu’elle réalisera malgré tous les obstacles. Comme Marie de Nazareth, la mère de Jésus qui n’a pas hésité à lui demander du vin aux noces de Cana. Et comme cette mère de Naïm qui a perdu son mari et qui enterre son enfant le jour de sa rencontre avec Jésus ! Quand tout est désespéré, une mère espère encore. Et Dieu se laisse toucher plus qu’il ne se laisse convaincre. Comme si la foi de l’homme dilatait le cœur de Dieu. Ainsi, pour Jésus, aucun principe religieux, aucune prescription ne tient, dès lors que résonne chez un être humain devant lui, le langage du cœur, ce langage le plus proche de celui de Dieu.

Et si on faisait parler ce texte pour aujourd’hui : ce serait une maman qui se préoccuperait de sa fille malade gravement. Et elle s’en préoccuperait en se tournant vers le Christ. Comme tous ces papas et toutes ces mamans qui ont en tête de leurs préoccupations tel ou tel enfant malade ou découragé par le chômage ou pour toute autre raison. On pourrait presque mettre en deux colonnes les réactions de ces parents selon qu’ils conservent ou non une attitude d’espérance, selon que le Christ ressuscité est ou non une réalité dans leur vie et que leur réaction passe ou non par la prière.

Bien sûr, rien n’est tranché comme ça dans une vie qui est toujours plus complexe. Mais il y a peut-être une invitation pour aujourd’hui dans cette histoire de la cananéenne et de sa fille malade, si on l’applique à toute situation difficile entre des personnes. D’un côté, pour qualifier leur attitude, il y aurait les mots “déprimer, désespérer, faire tout à la place de l’autre qui n’est capable de rien, ne plus se parler du tout, s’énerver, fiche à la porte…” et de l’autre on aurait : “faire silence et écouter beaucoup, réconforter, ne jamais rompre le dialogue, ne jamais couper les ponts, accueillir toujours, garder la porte ouverte, croire toujours au possible, même modeste, et toujours recommencer.” Même si, encore une fois, chaque personne passe par les deux colonnes, et plusieurs fois par jour.

Jésus ne dit pas : “Je te guéris”… Mais “Ta foi est grande, que tout se fasse pour toi comme tu le veux”. – “Que tout se fasse pour moi comme tu le dis”, disait Marie à l’ange de l’annonciation. -“Faites tout ce qu’il vous dira” disait-elle aux serveurs de vin à Cana. Ce que dit Jésus ressemble à ce que disait sa mère.

Robert Tireau, Prêtre du diocèse de Rennes

Lien à la Source

Retour à l'accueil