Homélie du dimanche 3 août 2014

La multiplication des pains

Après le discours en paraboles sur le Royaume, voilà maintenant des

gestes concrets qui montrent la puissance du Royaume, dans lequel les

disciples doivent s’engager, dès maintenant, pour qu’il puisse se réaliser

pleinement. Le premier geste est celui de la multiplication, ou plutôt du

partage du pain. C’est un geste tellement important qu’il est raconté 6 fois

dans les évangiles. Mais attention! De prendre le récit de Matthieu au pied

de la lettre; puisqu’il s’agit d’un événement théologique, il serait malheureux

qu’on le prenne pour une anecdote qui se serait déroulée dans la vie du

Nazaréen. C’est ce qui faisait dire au français Noël Le Bousse : « Nul doute

que Jésus ait eu des pouvoirs miraculeux. Limitée à ce constat, la

multiplication des pains resterait une anecdote. Elle devient un

événement riche de sens grâce aux lunettes de la tradition évangélique

qui l’enrichit de toute l’expérience biblique : Jésus est le prophète qui

renouvelle le miracle d’Élisée. Il est le pasteur du Peuple de Dieu qui

nourrit les siens d’une manne nouvelle dans le désert d’un nouvel Exode,

celui de l’aventure de la foi chrétienne. Il réalise cette mission par le

don de l’Eucharistie. Il est la Sagesse de Dieu qui nourrit les infirmes et

les affamés, sans qu’ils aient besoin de s’acheter à manger (cf. Is 55,1-

3). Tout cela ne tombera pas du ciel. La multiplication des pains est

confiée à des disciples. Ministres de la Parole, de la bienfaisance ou de

l’Eucharistie, ils apprendront à porter sur les foules le regard de

compassion de Jésus ».

Mais quels messages pouvons-nous en tirer aujourd’hui?

1. « Donnez-leur vous-mêmes à manger » (Mt 14,16) : Je ne sais pas

si on saisit bien toute la responsabilité qui nous revient comme

disciples du Christ ressuscité? L’Eucharistie, puisqu’il s’agit bien de

l’Eucharistie… les paroles elles-mêmes nous y renvoient : « Il prit les

cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça

la bénédiction : il rompit les pains, il les donna aux disciples, et les

disciples les donnèrent à la foule » (Mt 14,19), l’Eucharistie donc, n’est

pas seulement le rassemblement dominical où le prêtre consacre le

pain et le distribue aux participants, qui s’en retournent chez eux,

après avoir rempli un acte de dévotion… Non! L’Eucharistie n’a de sens

que si, en y participant, nous prenons conscience que nous devons

collaborer de deux façons :

1) Il faut apporter et donner ce que nous avons, même si c’est

peu : « Nous n’avons là que cinq pains et deux poissons » (Mt

14,17). Ce n'est peut-être pas beaucoup, mais c’est suffisant et

même nécessaire, pour que le geste de la multiplication et du

partage puisse se réaliser, car le Christ ne peut rien faire sans

nous. Les chiffres 5 et 2 marquent le manque, mais les deux

additionnés ensemble forment le 7, la perfection.

2) Il faut accepter de partager ce que nous avons et ce que nous

apportons. Nous avons donc la responsabilité de distribuer le

pain, de le partager pour que les faims du monde soient

comblées : « Il rompit le pain, il le donna aux disciples, et les

disciples le donnèrent à la foule » (Mt 14,19). Encore une fois, le

Christ ne peut rien faire si les disciples ne partagent pas le pain

rompu et offert.

2. « Nous n’avons là que cinq pains et deux poissons » (Mt 14,17) : Le

pain est le symbole du travail humain. Dans toutes les cultures, il a son

importance; il signifie l’apport humain dans la transformation du blé qui

devient nourriture des humains. Le poisson aussi a sa symbolique,

puisque la scène racontée se passe près du lac de Galilée où les

premiers disciples étaient des pêcheurs. Au moment de l’Eucharistie,

le poisson disparaît, mais il conserve toute sa symbolique pour désigner

l’Église du 1er siècle. Le mot grec : Ichtus est une vraie profession de

foi chrétienne au Christ de Pâques; chaque lettre veut dire quelque chose :

Ièsous, Christos, Théos, Uios, Soter= Jésus Christ, Fils de

Dieu, Sauveur.

Mais aujourd’hui, quels sont-ils nos cinq pains et nos deux poissons?

C’est nous avec nos talents, nos qualités et même nos défauts, ce que

nous sommes, ce que nous possédons comme richesse, ce que nous

avons à donner aux autres. C’est aussi notre foi, notre espérance et

notre amour. Tout cela, il nous faut l’apporter pour le partager, afin de

combler les faims du monde. Mais quelles sont-elles ces faims du

monde d’aujourd’hui? Quand plus de 2/3 de l’humanité souffrent de la

faim, il y a d’abord la faim matérielle pour laquelle on ne peut rester

indifférent. Mais il y en a beaucoup d’autres : les victimes de la guerre,

de la haine, de la méchanceté humaine; ceux et celles qui souffrent du

sida et de toutes sortes de maladies; les victimes de l’injustice, de

l’intolérance, de l’inégalité, du racisme, de l’oppression et de

l’exclusion. C’est à toutes ces personnes que le Christ de l’évangile nous

dit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » (Mt 14,16). Nous n’avons

peut-être pas grand-chose, mais le peu que nous avons, si nous le

donnons gratuitement, le miracle de la multiplication des pains se

réalisera pour combler toutes les faims de notre monde.

Je dirais même que la messe, l’Eucharistie est à ce prix, si on veut

célébrer le Christ vivant au cœur de notre humanité. Même le désert

en est transformé ; il fleurira. Dans l’évangile, Matthieu nous dit que

la scène se passe dans un endroit désert (v. 13), et lorsque vient le

temps du partage, tout à coup, il y a de l’herbe pour s’asseoir : « Puis,

ordonnant à la foule de s’asseoir sur l’herbe… » (Mt 14,19a). Aussi, nous

devons sans cesse nous questionner sur la qualité de nos célébrations

eucharistiques. Car si les foules ont déserté nos églises, peut-être

faudrait-il nous demander si nos rassemblements comblent vraiment

les faims de notre monde?

3. L’Amour : Pour arriver à célébrer l’Eucharistie en vérité, seul l’Amour

dans toute sa gratuité peut nous permettre de le faire. Dans sa lettre

aux Romains, saint Paul, après avoir discuté des divers aspects de

notre vie nouvelle en Christ et de notre espérance, conclut par une

hymne empreinte d’émotion, dont le vocabulaire suggère le cadre d’un

procès (cf. TOB, Rm 8,31 note x). Dieu, comme un Juge, est gagné à

notre cause : « Que dire de plus? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? »

(Rm 8,31). Le Christ lui, comme un avocat, intercède

pour nous : « Qui condamnera? Jésus Christ est mort, bien plus il est

ressuscité, lui qui est à la droite de Dieu et qui intercède pour nous! »

(Rm 8,34). Alors, qui osera accuser ceux que Dieu a choisis? « Qui

accusera les élus de Dieu? Dieu justifie! » (Rm 8,33). Quels obstacles

pourraient vaincre notre aventure chrétienne? « Qui nous séparera de

l’amour du Christ? » (Rm 8,35a). Les premières accusations, au nombre

de 7, concernent les défis de croire dans un monde hostile à la foi :

« La détresse, l’angoisse, la persécution, la faim, le dénuement, le

danger, le supplice » (Rm 8,35b). Toutes ces accusations sont

déboutées par l’Amour : « Car en tout cela nous sommes les grands

vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés » (Rm 8,37). La seconde vague

d’adversaires est plus redoutable; au nombre de 7, ce sont des forces

invisibles qui en faisaient craindre plus d’un au temps de saint Paul :

« La mort et la vie, les esprits et les puissances, le présent et l’avenir,

les astres, les cieux, les abîmes et certaines autres créatures » (Rm

8,38-39a). Par ailleurs, mêmes ces forces invisibles ne peuvent rien

contre l’Amour : « Rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui

est en Jésus Christ notre Seigneur » (Rm 8,39b).

En terminant, je voudrais simplement vous partager cette belle

réflexion sur l’Amour, du 12e

siècle, de saint Bernard de Clairvaux : « Le

fruit de l’amour, c’est l’amour : j’aime parce que j’aime, j’aime pour

aimer. C’est une grande chose que l’amour, si du moins il remonte à

son principe, s’il retourne à son origine, s’il s’en revient toujours

puiser à sa source les eaux dont il faut son courant. De tous les

mouvements de l’âme, de ses sentiments et de ses affections, l’amour

est le seul qui permette à la créature de répondre à son Créateur

sinon d’égal à égal, du moins de semblable à semblable ».

Raymond Gravel prêtre

Diocèse de Joliette (Qc)

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