Les catholiques français pendant la Première guerre mondiale

Entretien avec le père Franck Guérin, prêtre à Bar le Duc dans la Meuse un département français marqué par la bataille de Verdun - La France qui entre en guerre en août 1914 est un pays catholique. La très grande majorité des Français sont baptisés. Certes, il y a des différences notables entre un bassin parisien déjà globalement indifférent à la religion, un Sud-Ouest hostile à l’Eglise, ou une Bretagne encore profondément attachée à ses prêtres.

Les vingt dernières années ont été marquées par une lutte parfois violente entre les partisans d’une République laïque et ceux attachés à la présence de l’Eglise comme institution à part entière du pays. Depuis 1904, la France n’entretient plus de relations diplomatiques avec le Saint-Siège. En 1905, la loi de séparation des Eglises et de l’Etat a mis fin au Concordat napoléonien, au terme de violents débats. L’heure est à l’anticléricalisme et à une lutte d’influence entre l’Eglise et la République.

C’est dans ce contexte que les Français catholiques sont engagés dans le conflit qui modifiera sensiblement les relations qu’entretiennent les Français avec l’Eglise et ses représentants, et les relations entre l’Etat d’une part, et l’Eglise nationale et le Saint-Siège d’autre part.

Dès le début de la guerre, en France, c’est l’Union Sacrée. Tous les partis politiques, les syndicats, les Eglises, tous serrent les rangs pour faire face à l’invasion allemande. Malgré les appels à la paix de Pie X puis de Benoît XV, les catholiques, très majoritaires, soutiennent la guerre et le gouvernement comme le rappelle le père Franck Guérin :

« L’Église de France rentre dans l’Union sacrée, elle joue le jeu. Dès le début de la guerre, le 4 août 1914, l’Union sacrée est proposée par Raymond Poincaré, président de la République et le clergé français adopte une attitude à l’unisson de l’opinion nationale. Pour les catholiques français, le responsable du conflit, c’est l’Allemagne. Durant les quatre années du conflit, le Pape sera totalement incompris. On l’appellera le « Pape Boche ». Je crois que Léon Bloy a été jusqu’à l’appeler « Pilate XV ». Il est allé jusqu’à dire qu’il se trompe « infailliblement ». À l’époque, il y a très peu d’ecclésiastiques qui ont compris ce qu’il proposait dont le fait d’être impartial. Du côté allemand, il était considéré comme trop français, c’est ce que pensait Ludendorff. Et du côté français, on considérait qu’il était un Pape boche. C’est un mot aimable de Clemenceau. Le clergé ne l’a pas compris et ne l’a pas du tout soutenu. Il est tout seul et abandonné. Il est allé très loin dans l’incompréhension.»

Malgré le climat anticlérical qui règne en France, les catholiques n’hésitent pas à défendre leur patrie. Le père Franck Guérin :

« Chez les catholiques français, il y a toujours une association France- catholique qui est très forte. La patrie est en danger. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si tous les prêtres, membres des congrégations religieuses qui avaient été expulsées de France ou qui ne pouvaient pas rester parce qu’elles n’avaient pas obtenu l’autorisation d’exercer leur ministère ou fonction éducative, reviennent spontanément dès le début du mois d’ août’14 pour se battre et défendre la patrie.»

Les appels à la paix du Saint-Siège raisonnent dans le vide. Tous les efforts menés par Pie X et par Benoît XV, sans compter ceux, avant l’éclatement du conflit par les socialistes européens, pour préserver la paix, échouent. C’est une vraie défaite collective comme le souligne le père Franck Guérin :

« Au fond, à cette époque-là, il y a une nouvelle religion. C’est le nationalisme, la patrie, la défense de la patrie sur lequel tout le monde se retrouve. D’ailleurs, il y a deux grandes internationales qui ont échoué. Premièrement, c’est le christianisme (on ne parle pas du Christ). Le christianisme n’a pas été en mesure d’empêcher le conflit, que ce soit du côté catholique ou luthérien. Et le socialisme non plus ! Les socialistes de France se sont ralliés à l’Union sacrée et de l’autre côté, les sociaux-démocrates allemands ont voté les crédits militaires. C’est une espèce d’échec de ces grandes idées qui transcendaient les nations et les appartenances nationales.»

Les catholiques s’engagent donc dans la guerre. Parmi eux, les ecclésiastiques, prêtres, religieux et séminaristes, qui sont, comme tous les citoyens français, mobilisés. Le père Franck Guérin revient sur ces hommes d’Eglise intégrés dans l’armée. Le père Franck Guérin :

« La masse de gens concernés représente quand même plus de 25.000 hommes, membres du clergé catholique français. Il y a 500 pasteurs protestants. Il y a trois statuts. On pense spontanément aux aumôniers militaires. Mais au début du conflit, il ne doit y avoir que 150 prêtres membres de l’aumônerie militaire, titulaires de cette fonction, ce qui est très peu. Très vite, il va y avoir des besoins considérables et Albert de Mun qui est député catholique va parvenir à convaincre le gouvernement français, les autorités françaises de la nécessité d’élargir un peu le nombre d’aumôniers avec des aumôniers militaires qui s’engagent comme volontaires et je crois qu’ils seront très vite 400 aumôniers volontaires, les « aumôniers d’Albert de Mun ». Ils seront d’ailleurs reconnus par l’armée et la République avec une solde et un titre d’officier comme les autres aumôniers militaires titulaires. Ca ne fait que 600 personnes et la République a intégré quelque 13.000 prêtres- tous ceux qui étaient prêtres avant la séparation de l’Église et l’État de 1905- appartenant au service public des cultes ont été versés dans le service de santé comme brancardiers. 13.000 prêtres brancardiers au service de santé. Il en reste 12.000 qui eux, sont des combattants comme les autres dans l’artillerie, l’infanterie. Ces 12.000 hommes, ce sont tous ceux qui étaient prêtres ou séminaristes après 1905. »

Qu’ils soient aumôniers ou simples soldats, ils sont logés à la même enseigne que les autres Poilus. Dans la boue des tranchées, deux mondes, qui ne se connaissaient pas forcément, se rencontrent comme le raconte le père Franck Guérin :

« Au départ, dans les toutes premières semaines, ils ont parfois été accueillis avec circonspection. Mais finalement et assez rapidement, ils sont acceptés et ils sont même sollicités parce que ces hommes d’Église partagent tout simplement la vie des hommes: le froid, les travaux, la souffrance, la peur et évidemment. Ils vivent tous les risques de la mort. Et sur leur passage, les visages de ces hommes s’ouvrent les uns après les autres et bien des préjugés populaires d’avant-guerre tombent. Il faut se souvenir qu’une bonne partie de ces combattants sont marqués par l’anticléricalisme ambiant, le laïcisme d’avant-guerre. Et finalement, peu à peu et même assez vite, ils vont découvrir ces soldats prêtres, qu’on appelait à l’époque des « ratichons épatants ». Ils paient de leur personne, comme les autres. À la veille des attaques, les confessions sont d’une grande intensité. Il n’est pas rare aussi de voir des bataillons entiers envahir des petites églises à demi ruinées pour assister aux offices célébrées par l’un des leurs. Du côté des prêtres, ils vivent une expérience pastorale radicalement nouvelle. Le front, c’est un monde d’hommes et dans bien des régions de France, en particulier les grandes villes et toujours ce bassin parisien peu pratiquant - il y a beaucoup d’autres régions comme cela - les prêtres connaissaient surtout une population féminine, une assistance féminine à la messe et une assistance faite d’enfants, sauf dans les terres de chrétienté : en Bretagne, dans l’église, il y avait la moitié d’hommes et l’autre moitié de femmes. Ces prêtres découvrent un monde d’hommes qu’ils ignorent ou connaissent assez peu et qui est assez révélateur de la société française d’avant’14 qui est marquée par le christianisme et qui vit un détachement cultuel, rituel assez important selon les régions. Quand tous les séminaristes, tous les prêtres reviennent muris et endurcis par l’épreuve, cela va créer un nouveau clergé, il va être rénové. Une fois sorti de la sacristie, le nouveau prêtre de l’après-guerre a été baptisé dans le réel. »

Cette fraternité née au cœur des épreuves de la guerre n’est pas sans conséquence sur les relations qu’entretiennent, une fois la paix revenue, les anciens combattants, modifiant profondément la vision que les laïcs ont sur les religieux, et les religieux sur les laïcs. Le père Franck Guérin :

« Ça fait naître une génération de prêtres entreprenants, de prêtres baptiseurs qui vont se lancer dans les années 20-30 à la conquête des grandes villes. Il y a les grandes figures comme les Pères Brottier et Doncoeur. Il y aura des prêtres anciens combattants qui deviendront députés. C’est aussi dans ce clergé d’anciens combattants que l’Église puisera parmi les plus grandes figures une sorte de vivier de grandes figures de l’Église des années 30-40-50. Je vous cite les noms de Mgr. Liénart à Lille, Feltin à Paris, Saliège à Toulouse, Gerlier à Lyon. Ce sont tous des anciens combattants qui sont devenus évêques, archevêques et parfois cardinaux. On peut raisonnablement dire ou soutenir que le phénomène d’anciens combattants a contribué à la réintégration du clergé français dans la sociabilité masculine de l’après-guerre. Et lorsqu’un ancien combattant socialiste rencontre un curé, il voit d’abord en lui l’ancien combattant qui a peut-être eu la légion d’honneur, la croix de guerre avant de voir le curé. Là, il y a quelque chose qui est partagé entre les deux hommes. Et ça a été une chance. Comme quoi, du mal peut sortir du bien ! Une chance pour le clergé français de réintégrer un monde qu’il ne connaissait pas très bien ou plus ou moins bien

La Première Guerre mondiale a eu aussi des conséquences sur les relations que la République française entretiendra ensuite avec l’Eglise de France et le Saint-Siège. Les années 1920 marqueront une nette détente après des années de tensions et de défiance.

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