« Ce que Dieu a uni… » : considérations sur la Pastorale du Mariage de Jocelyn Girard

"Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas." (Marc 10, 9) Avec le récent Synode sur la famille, cette question du divorce et du remariage a surgi de nouveau dans les échanges. Peu de gens de mon entourage arrivent à comprendre cet "endurcissement" face aux couples qui ont vécu un premier échec et qui se retrouvent jugés par l'Église en raison d'un nouvel engagement conjugal.

J'ai moi-même eu "l'honneur" dans ma vie d'être appelé à témoigner au cours de deux mariages dans ma famille. Les deux couples m'avaient demandé de préparer leur mariage avec eux et d'y apporter ma contribution lors de l'homélie. Je dois confesser aujourd'hui que j'ai échoué lamentablement. Non pas que ce que j'ai pu dire à l'époque n'avait aucun sens, bien au contraire! En tant que jeune théologien, j'ai énoncé clairement et avec fierté le rôle et la mission du couple dans le monde: "Être le reflet fidèle de l'amour de Dieu pour l'humanité, du Christ pour l'Église en se nourrissant quotidiennement à même cet amour divin". Non, mon échec n'est pas théologique, il est plutôt anthropologique!

La très vaste majorité des couples qui s'adressent à l'Église, ici au Québec, pour se marier "religieusement", ont une très vague idée du sens théologique de leur engagement. Ils y viennent pour sceller leur amour et lui conférer une sorte de caractère sacré, ce qui montre bien leur "bonne foi". Mais même s'ils se montrent patients en écoutant l'énoncé de mission qu'on leur confie, ils sont le plus souvent à des lieues de pouvoir en saisir toute la portée et de prendre un engagement aussi définitif.

Je crois sincèrement que je n'ai pas été digne de la confiance des deux couples qui ont voulu m'associer à leur démarche. J'étais pour eux une personne de confiance face à un univers devenu étranger (l'Église) et des codes de langage qu'ils ne comprenaient pas. En principe, j'aurais dû partir de leur projet, de leur amour, de leur volonté de s'établir comme couple plutôt que de leur imposer une sorte de mission qui ne collait en rien à leur situation. J'aurais dû leur proposer quelque chose d'intermédiaire, une fête de l'amour, une reconnaissance publique d'un projet en marche, mais pas un mariage. Les deux couples ont divorcé. Les quatre personnes se sont réengagées autrement et je n'ai pas été "demandé" pour être au coeur de leur nouvel engagement. Et ça se comprend!

Une mission qu'on embrasse progressivement

La vocation religieuse nécessite du temps

Faisons un parallèle avec les personnes "consacrées", celles qui font un engagement au sein d'une communauté religieuse catholique. Celles-ci ont à vivre un certain nombre d'étapes avec des temps de discernement et parfois même d'épreuves. Une femme ou un homme se présente à une communauté, elle manifeste un intérêt. La plupart du temps, on lui montrera un certain détachement de manière à éprouver son désir. Elle reviendra et insistera. On lui proposera un temps relativement court pour "voir". Parfois, on institue même une telle étape en appelant ces personnes des "regardantes" et on leur offre un accompagnement en vue de toujours s'assurer de leur liberté. Au bout de cette période qui peut durer un à deux ans, la personne peut demander à entrer dans la communauté. Si le discernement le confirme, on l'accueillera comme "novice". Cette nouvelle étape lui permet de vivre entièrement dans la communauté, mais c'est un temps d'apprentissage, d'études, de travail. Le noviciat peut durer trois ans, parfois plus longtemps! La personne est toujours libre de quitter sans rompre un quelconque engagement. Ce n'est qu'après cette période qu'une première forme d'engagement plus formel entre en scène, la "profession temporaire". La personne s'engage à approfondir sa vocation en étant pleinement membre de la communauté, mais ses "voeux" seront à réviser au terme de l'échéance qui peut durer de deux à trois ans, parfois plus! Enfin, parvenu au terme de ce temps qui vérifie constamment la liberté de l'individu et le discernement de sa vocation, celui-ci peut alors prononcer ses "voeux perpétuels" considérés comme irrévocables. Au total, un tel cheminement peut prendre de 5 à 10 ans avant de se conclure par un "mariage avec l'Époux". La personne consacrée y reçoit la mission d'être fidèle et de témoigner de l'amour sans partage de Jésus pour elle-même et pour chaque être humain!

Revenons au mariage entre un homme et une femme. Ceux-ci ont passé quelque temps à se fréquenter, de moins en moins d'ailleurs. Ils ont assez souvent déjà vécu quelques mois ensemble, parfois plus. Et ils se présentent à l'Église. On leur donnera un weekend de préparation et on bénira leur alliance par le sacrement. Désormais, ils seront engagés de façon perpétuelle aux yeux de Dieu et personne sur terre n'aura plus le droit de "les séparer" (pas même eux)!

Ne voyez-vous pas, comme moi, une incohérence totale entre ces deux manière de s'engager devant Dieu et devant l'Église? Dans le premier cas, en outre, il s'agit d'une personne seule! Elle n'a qu'elle-même à scruter et à se voir cheminer vers son objectif alors que dans le mariage, il y a deux individus avec tout ce qu'ils sont: histoire personnelle, joies, peines, hésitations, peurs, désirs, etc.

Le sexe, le vrai problème?

La différence entre les deux situations, c'est la sexualisation de l'engagement religieux. Dans le premier cas, c'est la chasteté qui est en jeu. Dans le second, les relations sexuelles feront partie de l'équation tôt ou tard. Et comme il est rarement possible de les reporter de quelques années (!), vaut mieux alors unir les amoureux le plus tôt possible pour leur éviter le péché du "sexe hors mariage" (et aussi l'arrivée d'enfants).

Je suis sans doute bien prétentieux de croire que la gradualité de l'engagement vocationnel devrait s'appliquer de la même manière à un couple chrétien qu'il est de mise pour une personne seule. Mais mon expérience personnelle me démontre que le mariage "religieux" devant Dieu et devant l'Église ne devrait survenir qu'après bien des années de fidélité que le couple aurait vécues et qui l'auraient éprouvé. Une majorité de couples ne survit pas au temps. Ceux qui survivent et qui reconnaissent la présence de Dieu et son amour indéfectible pour eux pourraient être accompagnés et invités à sceller cet amour dans l'alliance du mariage. C'est alors et alors seulement que nous pourrions parler d'un mariage "que Dieu a uni"...

Il est probable qu'ainsi nos tribunaux ecclésiastiques seraient beaucoup moins occupés qu'ils ne le sont actuellement et que les mariages célébrés à l'Église porteraient davantage la marque de la vocation sacramentelle dont nous avons tant besoin pour signifier au monde toute la beauté de l'amour qui s'engage, qui dure et qui se transforme au rythme du temps, à l'image et à la ressemblance de Dieu...

Jocelyn GIRARD, catholique, marié, père de 5 enfants adoptés et résidant au Québec

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