Le voyage du pape en Turquie peut-il resserrer les liens entre catholiques et orthodoxes ?

À partir du vendredi 28 novembre et pendant trois jours, le pape François se déplace à Istanbul, en Turquie. Une visite destinée à renforcer les échanges théologiques entre catholicisme et orthodoxie, mais qui intervient dans un contexte géopolitique particulier, sur fond de crise identitaire européenne et qui suscite beaucoup d'espoir pour les minorités chrétiennes, à ce jour menacées en Orient.

Pour la quatrième fois depuis le début de son pontificat, François va rencontrer le patriarche oecuménique de Constantinople, Bartholomée, lors d'une visite officielle à Istanbul en Turquie. Et pour la deuxième fois, une déclaration commune va être signée. Il s'agit de la quinzième rencontre officielle entre Bartholomée et un pape : quatre à l'actif de Jean-Paul II, sept pour Benoît XVI.

Le pape François est le quatrième pape qui, dans la période contemporaine, fait ce chemin, non pas de Damas, mais du Phanar, siège du patriarcat oecuménique de Constantinople. Avant lui, et après les retrouvailles de 1964 à Jérusalem entre Paul VI et Athénagoras, Paul VI visita le Phanar en 1967, puis ce fut le tour de Jean Paul II à Démétrios 1er en 1979, puis de Benoit XVI à Bartholomée en 2006.

Le responsable de la communication de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France, Carol Saba, explique qu'il s'agit d'une visite protocolaire, c'est à dire une visite écclésiale « irénique » qui veut, selon la tradition, que le premier voyage à un siège orthodoxe d'un nouveau pape élu soit auprès du primat d'honneur de l'orthodoxie.

Depuis le baiser de paix échangé à Jérusalem par Paul VI et Athénagoras en 1964, les embrassades et les déclarations se suivent et se ressemblent. Aussi, cinquante ans plus tard, l'accolade du pape et du patriarche a-t-elle toujours la même force et le même souffle ? Au-delà de l'évidente beauté du geste, tous les espoirs sont-ils toujours permis quant au rapprochement entre catholiques et orthodoxes ?

La question se pose avec d'autant plus d'acuité que l'ambiance semble s'être rafraîchie du côté du patriarcat de Moscou, poids lourd de l'orthodoxie puisqu'il a pour lui la moitié du peuple orthodoxe. Plus de 150 millions de personnes sur 300 millions dans le monde sont rattachées au patriarcat de Moscou contre 3 millions pour le patriarcat de Constantinople, dont à peine 3000 sur son territoire canonique.

L'épineuse question de la primauté

Parmi les principales causes de désaccord, la question de la primauté est sans doute celle qui empoisonne le plus le dialogue entre Rome, Constantinople et Moscou. Et la pomme de discorde aujourd'hui n'est plus tant entre catholiques et orthodoxes (comme lorsqu'en 2006, Benoît XVI avait suscité le désarroi en abandonnant son titre symbolique de « patriarche d'Occident » : les orthodoxes s'étaient alors demandé si le pape se considérait comme chef de l'Église universelle et se situait donc au-dessus des patriarches d'Orient... ) qu'à l'intérieur même du monde orthodoxe, entre patriarcat de Moscou et de Constantinople.

Bartholomée en tant que patriarche oecuménique de Constantinople porte le titre de « primat d'honneur », un titre honorifique qui lui confère une place d'interlocuteur de taille pour le Saint-Siège mais qui est contesté par le patriarcat de Moscou. En 2006, Hilarion Alfeyev avait ainsi expliqué la position du patriarcat de Moscou : « Dans la tradition orthodoxe, la communion avec le siège de Constantinople n’a jamais été perçue comme une condition obligatoire de catholicité à la façon dont l’était, pour les Églises d'Occident, la communion avec le siège de Rome. Le modèle ecclésiologique de l’Église orthodoxe est fondamentalement différent du modèle catholique romain, et le patriarche de Constantinople n’a jamais joué dans l’Église orthodoxe le rôle que joue l’évêque de Rome dans l’Église catholique. »

Autrement dit, Moscou ne veut pas que Bartholomée soit considéré comme le pape des orthodoxes. Une position qu'il n'a depuis cessé de confirmer.

MARIE-LUCILE KUBACKI

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