Franck Legros, Curé à Evreux : « il danse pour Dieu »
10 janv. 2015Ancien danseur professionnel, ce curé du diocèse d’Évreux monte des spectacles musicaux avec les jeunes. Pour lui, la danse, art de l’incarnation par excellence, unifie l’homme, dans ses dimensions physiques, artistiques et spirituelles.
« Je sortais d’une répétition de danse à l’opéra de Düsseldorf. Elle ne s’était pas très bien passée. Une fois rentré dans mon appartement, je me suis installé à ma table, fatigué. Sans crier gare, deux questions ont surgi en moi : « Qu’est-ce que le bonheur ? » et « Qu’est-ce que réussir sa vie ? ». À ces interrogations s’est juxtaposée une image intérieure, très nette : je me voyais sur mon lit de mort, une parole brûlante aux lèvres : « C’est en ayant fait ça que tu as réussi ta vie… » J’étais certes passionné par la danse, mais où cette carrière me mènerait-elle ? Je serais bien un jour obligé d’arrêter. Je réalisai que seul Dieu, éternel, immuable, revêtait pour moi un chemin solide pour marcher vers le bonheur. Puisque Lui serait toujours là, je ne pouvais et voulais bâtir ma vie qu’entre ses mains. En quelques mois, j’allais considérer la danse comme une page ancienne de ma vie, tournée non sans déchirement.
La vocation religieuse a germé en moi relativement tôt. À15 ans, je suis entré au service diocésain des vocations pour discerner un potentiel appel. Je désirais alors donner ma vie à Dieu et à la danse. J'étais allé jusqu'à inscrire cette double passion dans ma signature, en traçant sur mon nom et mon prénom un D enveloppant. Depuis, cette marque n'a pas changé.
Mon goût de Dieu, présent depuis toujours, est sans doute le plus grand mystère de ma vie. Dans ma famille, la religion était davantage culturelle que cultuelle. La transmission religieuse se limitait à quelques cours de catéchisme, sans rien de plus. Malgré ça, je me suis mis à prier, seul dans ma chambre, où j'avais installé un petit autel. À l'époque du collège, j'allais récupérer au café du village la clé de l'église. Maladroitement, j'y récitais mon chapelet... devant la statue de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, persuadé qu'il s'agissait de la Vierge Marie !
Jusqu'à la fin du conservatoire, cette question de la vocation m'a travaillé. Puis j'ai intégré le Jeune Ballet de France, valsant, enivré par la scène, les projecteurs et les autographes. Devenant critique à l'égard du pape et de l'institution, je me suis peu à peu éloigné de l'Église et de la liturgie. Mais subsistait en moi une vie de prière, nourrie par la Bible, que j'emportais dans ma valise, lors de mes tournées aux quatre coins du monde.
Jusqu'à la veille de mon ordination, j'ai hésité entre la vie monastique et la prêtrise. De nature plutôt contemplatif, je recherchais avant tout une intimité avec Dieu.
Au bout de sept ans de sacerdoce, j'ai enduré pendant deux longues années une crise spirituelle, liée entre autres à un agenda surchargé, me transformant en « chef d'entreprise », et à une proximité perdue avec le Seigneur. Au final, cette épreuve m'a permis de trouver un équilibre de vie et de façonner le prêtre que je suis aujourd'hui. Ma préoccupation première est d'apporter l'Évangile aux gens et de les aider dans leurs pauvretés multiples. Je suis profondément habité par cette idée que l'homme est un dans toutes ses dimensions : psychologique, spirituelle, relationnelle, physique... Tout ne se mélange pas, mais tout doit être unifié. Or l’Occident a cette tendance à cloisonner les personnes et à scléroser le corps et l'esprit.
Je trouve d'ailleurs que nos frères juifs sont souvent dans une expression plus incarnée de la foi que notre christianisme occidental. Ils ont su préserver l'héritage delà danse, si présente dans la Bible. Elle est pour moi l'art de l'incarnation par excellence, manifestation du Verbe fait chair, révélation du corps, temple de l'Esprit Saint. Je vois Dieu comme un être dansant, carde relation : c'est un souffle, un mouvement, circulant entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Dieu est la vie ; par antithèse, la mort est l'inertie.
Comment garder les jeunes dans l'Église? C'est la question que nous nous sommes posée avec les paroissiens de Vernon (27), en juin 2001, alors que j'étais jeune prêtre. L’idée de monter une comédie musicale est apparue. Voilà comment j'ai réenfilé mes chaussons de danse... À la fin de l'été, 80 participants ont répondu présent pour la préparation de notre premier spectacle sur David... roi de la danse. En travaillant un projet artistique et spirituel-nos répétitions sont toujours encadrées par des temps de prière et nourries de l'adoration eucharistique -, ces jeunes découvrent qu'au travers de leur croissance spirituelle Dieu se révèle dans une dimension humaine et artistique.
Lorsque je relis mon histoire, je vois à quel point le Seigneur m'a inspiré, guidé, accompagné : de n'avoir jamais arrêté le sport m'a permis de reprendre la danse, mais sans avoir le corps usé d'un danseur professionnel. En parallèle de ce projet en paroisse, j'ai repris pendant un temps la danse au conservatoire. Je n'oublierai jamais cette phrase de mon évêque de l'époque : « Je préfère de loin que tu danses plutôt que tu ne danses pas. » Il avait compris que plus un prêtre fructifiait ses talents, plus il pourrait s'accomplir en Eglise. , La danse m'offre d'être un prêtre incarné, assumant sa dimension corporelle, vécue dans l'Esprit saint. L'apprentissage du modem jazz, mais aussi d'instruments, comme la batterie, le djembé ou la kora, me permet non seulement d'adapter mes spectacles à la jeune génération, mais aussi de vivre pleinement la liturgie.
Avant d'être prêtre, je sentais bien que la danse contenait une part sacrée, spirituelle. Mais je me plaçais surtout dans une dimension technique et émotionnelle. Aujourd'hui, je dirais que ma danse est plus aboutie, car unifiée : c'est désormais une véritable histoire intérieure que je raconte. Lorsque j'interprète la danse de l'âme de Moïse J'ai alors cette impression aussi douce qu'extraordinaire que tout mon être dialogue avec Dieu, entre terre et Ciel. »
Les étapes de sa vie
1971 Naissance à Bernay (27).
1990 Médaillé d'or du conservatoire de Rouen (76). 1990-1992 Jeune Ballet de France.
1991 Appel à donner sa vie à Dieu.
2000 Ordonné prêtre.
2001 Création de Hosanna, association pour monter des spectacles musicaux.
Depuis 2005 Curé à Saint-Jean-Baptiste-du-Val-lton (diocèse d'Evreux).
2007 Crise spirituelle.
Février 2015 Spectacle « Révèle-toi ».
ANNE-LAURE FILHOL
La Vie n°3619 8 janvier 2015 pages 44-46