Homélie du dimanche 11 janvier 2015
10 janv. 2015A Noël nous avons fêté la naissance de Jésus, puis saint Luc nous a raconté sa présentation et son offrande au temple par ses parents, pour que la circoncision inscrive dans sa chair la marque de son appartenance au peuple de l’Alliance. Son choix de se faire baptiser par Jean comme beaucoup d’autres, témoigne de sa solidarité spirituelle avec ses frères humains qui se reconnaissent pécheurs et désirent se convertir, alors qu’il vient enlever le péché du monde et participer au combat contre le mal.
En ces jours-là, Jésus vint de Nazareth, ville de Galilée,
et il fut baptisé par Jean dans le Jourdain.
Et aussitôt, en remontant de l’eau, il vit les cieux se déchirer
et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe.
Il y eut une voix venant des cieux :
« Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. »
Aussitôt l’Esprit pousse Jésus au désert
et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan.
Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient.
Ce bref récit est d’une grande densité. Jésus sort des eaux du Jourdain, ce fleuve traversé jadis par son peuple, avec à sa tête Josué – un nom qui est quasiment le même que Jésus –, quand il est entré en terre promise, en terre de liberté. Cette fois ce ne sont plus les eaux de la mer ou du fleuve qui se retirent, mais les portes des cieux qui s’ouvrent à la bienveillante déclaration de Dieu, pour y faire entrer à la suite du Christ tous ses frères humains.
Jésus voit les cieux se déchirer. La supplication du prophète Isaïe est exaucée. « Ah ! si tu déchirais les cieux », disait-il à Dieu, (cf 1er dimanche de l’Avent), lui disant ensuite qu’il était descendu pour libérer son peuple de l’esclavage et de l’exil. L’Evangéliste reprend les termes d’Isaïe dans un contexte nouveau, qui rappelle l’événement de la création. De même que le souffle de Dieu planait sur les eaux de la première création, l’Esprit, sous la forme d’une colombe plane sur cet homme qui émerge des eaux matricielles de l’humanité, des eaux baptismales du peuple de l’Alliance. Ce peuple qui vient se renouveler à l’appel de Jean son cousin. L’esprit descend sur cet homme qui vient accomplir une renaissance de l’humanité.
Les cieux se déchirent, cela veut dire qu’il n’y a plus séparation entre le ciel et la terre. L’univers n’est plus une prison dans laquelle l’humanité s’était enfermée par peur de Dieu. La communication entre Dieu et ses enfants est enfin rétablie. Jésus est celui qui vient renouveler, recréer l’homme pour qu’il soit réellement à l’image de Dieu. Il vient aussi révéler le vrai visage de Dieu tellement trahi par les caricatures inventées par les humains au cours du temps. Saint Marc évoquera une autre déchirure, au moment où Jésus poussera son dernier cri de nouveau-né crucifié-ressuscité (Mais, poussant un grand cri, Jésus expira. Et le voile du Sanctuaire se déchira en deux du haut en bas. Mc 15, 37-38). Cette déchirure du voile dans le sanctuaire du temple à Jérusalem, signe la fin non plus de la séparation du ciel et de la terre, mais de celle dressée entre le peuple et Dieu, par l’intransigeance légaliste de ses responsables religieux. Le baptême chrétien dans la mort du Christ, dans son baptême du sang, inaugurera aussi, aux dires de saint Paul, une autre déchirure : celle des tentures, des murs et des barrières dressés par les cultures et les religions entre juifs et grecs, entre esclaves et hommes libres, entre hommes et femmes. (Ga 3, 27-28)
Jésus voit les cieux se déchirer, et il entend une parole qui lui est adressée personnellement : « C’est toi mon Fils bien-aimé ; en toi j’ai mis tout mon amour. » Luc et Marc sont les seuls à rapporter cette expression à la deuxième personne et non la troisième comme Matthieu. A cet homme Jésus, Dieu s’adresse comme un Père à son Fils, comme si se manifestait entre eux une relation familière et intime. Finies les manifestations divines dans des ambiances de terreur et de fureurs de la terre ou du ciel. Voilà que se réalise la promesse à David : « Je serai pour lui un père, il sera pour moi un fils ». On pourrait comprendre : « Je suis ton Père et tu es mon Fils bien-aimé ».
On peut noter encore que cette reconnaissance de Jésus comme le Fils de Dieu sera formulée, à la toute fin de l’Evangile de Marc, par le centurion romain assistant à sa mort : « Le centurion qui se tenait devant lui, voyant qu’il avait ainsi expiré (remis son souffle), dit : Vraiment, cet homme était fils de Dieu » (Mc 15, 39).
Cette fête du baptême de Jésus, rapportée par saint Marc, fonde la compréhension du baptême chrétien. Jésus est l’aîné d’une multitude de frères et de sœurs. Quiconque reçoit en toute conscience le baptême en son nom vit une renaissance, entre dans une relation neuve avec Dieu, devient son enfant, libre, fraternel, égal en dignité vis-à-vis de ses frères et sœurs en humanité. C’est ce que suggère saint Jean dans sa première lettre :
Celui qui croit que Jésus est le Christ, celui-là est né de Dieu ;
celui qui aime le Père qui a engendré aime aussi le Fils qui est né de lui.
Voici comment nous reconnaissons que nous aimons les enfants de Dieu :
lorsque nous aimons Dieu et que nous accomplissons ses commandements.
Car tel est l’amour de Dieu : garder ses commandements ;
et ses commandements ne sont pas un fardeau,
puisque tout être qui est né de Dieu est vainqueur du monde.
Or la victoire remportée sur le monde, c’est notre foi. […]
C’est lui, Jésus-Christ, qui est venu par l’eau et par le sang :
non pas seulement avec l’eau, mais avec l’eau et avec le sang.
Et celui qui rend témoignage, c’est l’Esprit, car l’Esprit est la vérité.
Saint Jean parle du lien entre le baptême de Jésus et de ceux qui croient qu’il est le Fils de Dieu, victorieux du mal. De ce fait, nous dit-il, « les commandements de Dieu ne sont plus un fardeau », car le baptême du sang que Jésus a vécu après son baptême de l’eau a signé pour toujours sa victoire sur le mal. Retenons deux choses importantes de ce texte de Jean. Le baptême – comme tout sacrement – n’a de sens que s’il est acte de foi en Jésus Fils de Dieu, né de lui. Cet acte de foi est clairement présenté comme trinitaire par Jean. Pas de foi sans œuvre de l’Esprit dans la personne du croyant. Le baptême – comme tout sacrement – est un engagement à aimer, comme Jésus aimera les siens jusqu’au don du sang. Cet engagement n’est pas un fardeau, car les commandements de Dieu ne sont pas des lois morales, mais des déclarations d’amour et des chemins de bonheur.
Un long et très beau texte du prophète Isaïe ce dimanche, aux couleurs baptismales aussi. Il parle d’une eau qui fait vivre, et ce qu’il en dit peut s’appliquer à l’eau du baptême, celle d’une renaissance à la vie divine qui apaise la soif profonde des hommes et qui fait accéder à l’univers de la grâce, au Royaume de Dieu.
Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau !
Même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer,
venez acheter du vin et du lait sans argent, sans rien payer.
Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas,
vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ?
Écoutez-moi bien, et vous mangerez de bonnes choses,
vous vous régalerez de viandes savoureuses !
Prêtez l’oreille ! Venez à moi ! Écoutez, et vous vivrez.
Je m’engagerai envers vous par une alliance éternelle : […]
Ces paroles d’Isaïe nous révèlent encore un aspect essentiel du baptême – comme de tout sacrement -. Il ne s’achète ni se vend ni se mérite. Il signifie un don de Dieu purement gratuit et gracieux comme l’eau qui descend du ciel. Comme la pluie fait renaître la nature, la féconde et la renouvelle, la parole de Dieu transforme et fait renaître les cœurs et les esprits de ceux qui l’accueillent.
Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver ;
invoquez-le tant qu’il est proche.
Que le méchant abandonne son chemin, et l’homme perfide, ses pensées !
Qu’il revienne vers le Seigneur qui lui montrera sa miséricorde,
vers notre Dieu qui est riche en pardon.
Car mes pensées ne sont pas vos pensées,
et vos chemins ne sont pas mes chemins.
Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre,
autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées,
au-dessus de vos pensées.
La pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas
sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer, donnant la semence au semeur et le pain à celui qui doit manger ;
ainsi ma parole, qui sort de ma bouche,
ne me reviendra pas sans résultat,
sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission.
ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat,
sans avoir fait ce que je veux, sans avoir accompli sa mission.
Le Fils bien aimé du Père, son Verbe ne descendra pas des cieux en vain. Il accomplira son œuvre baptismale. Il fécondera la terre et les cœurs de son Esprit, il abreuvera l’humanité de son eau vive, il la nourrira de son Pain de vie éternelle.
Michel SCOUARNEC, Prêtre du Diocèse de Quimper