Homélie du dimanche 15 février 2015
13 févr. 20156° dimanche dans l’année B – 15 février 2015
Lévitique 13, 1-2.45-46 ; Psaume 101 ; 1 Corinthiens 10, 31-33.11, 1 ; Marc 1, 10-45
Gabriel Ringlet a écrit : “Comme tout est simple, en régime de séparation : l’ivraie et le bon grain, le sacré et le profane, les honnêtes gens et la racaille. Par temps de dureté et d’incertitude, les frontières se raidissent plus encore. Un homme, soudain, se retrouve de l’autre côté de l’homme, ou un peuple, ou une banlieue. Il est prié de quitter l’humanité. En avion, parfois, et sans bruit, de préférence. Mais il arrive que cet homme résiste… Il vient donc, ce jour-là, « trouver Jésus ». La démarche ne manque pas d’audace. Elle traduit, en tout cas, une belle confiance. Alors que tout le pousse à s’éloigner, il s’approche : « Si tu le veux, tu peux me purifier. » « Ému jusqu’aux entrailles », Jésus touche le lépreux.
Inutile d’entendre les mots qui suivent. Il le touche et déclenche un séisme. Il le touche et ce toucher-là le réintègre dans l’humanité. Mais en le touchant, Jésus renverse un système : Où est le pur ? Où est l’impur ? Il le touche et c’est le pouvoir religieux lui-même qui est touché… Toucher, c’est refuser de séparer. L’Évangile ne sépare pas. Il ne nie pas la tumeur, mais il n’enferme pas dans la tumeur. Il ne réduit pas un homme à sa lèpre : il lui propose d’y entrer et de la traverser. En d’autres termes, l’Évangile pousse à rompre avec le faux sacré qui met en danger la liberté de l’homme. Il ne joue pas le sacré contre le profane, le « dedans » du temple contre le « dehors », mais il invite à habiter le profane avec une telle intensité qu’il en devienne sacré.”
Contemplons le geste de Jésus qui touche l’intouchable. C’est une des images les plus fortes de nos liens au Corps du Christ. Nous sommes des êtres corporels qui avons besoin de signes charnels : il y a l’eau de nos baptêmes, il y a le pain de l’Eucharistie… Jésus tend la main, cette main qui purifie, qui relève. Le récit pourrait s’arrêter là, mais il rebondit. Jésus renvoie le lépreux avec sévérité : l’homme guéri est invité à se taire. Comme si Jésus voulait qu’on ne s’arrête pas au spectaculaire.
On parle des maladies contagieuses. Dans l’évangile c’est la bonne santé qui est contagieuse. Jésus est contagieux de santé. C’est comme une invitation à croire au virus du bien. Et ce miracle de guérison dans l’Evangile, on peut dire qu’il est double : il y a le miracle physique qui n’est pas à la portée de tout le monde ; et il y a le miracle de réintégration, tout aussi important pour le lépreux, et là on peut tous quelque chose. Vous vous dîtes peut-être : « On ne connaît pas beaucoup de lépreux par ici. On n’est pas concernés…» J’ai prévu l’objection et j’ai commencé une liste de lépreux assez courant chez nous… Chacun la continuera :
- Celui qui a une tête qui ne me revient pas et qui me demande un service.
- Le malade à l’hôpital, qui est grincheux et que j’évite… et qui m’appelle.
- La personne âgée qui ne peut plus rester chez elle… et qui n’a plus que nous pour exister.
- Celui-là qui est désemparé parce qu’il vient de perdre un proche…
- Les demandeurs d’asile qui cherchent un accueil…
Miracle de Guérison et de réintégration : tellement important aux yeux de Jésus que même la loi, pour lui, passe après : c’était interdit à un lépreux de s’approcher, le lépreux s’approche ; c’était interdit de s’approcher d’un lépreux, Jésus touche le lépreux. Que voulez-vous, quand il entend : “Si tu le veux, tu peux me purifier,” c’est plus fort que lui. Les exemples sont nombreux dans l’évangile : la Femme adultère, les repas chez les pécheurs, Zachée, les guérisons le jour du sabbat, les vendeurs du temple. Jésus ne se met pas hors la loi par plaisir. Il fait lui-même respecter la loi : “va te montrer aux prêtres et donne ce qui est prescrit”. Il se met hors la loi parce que, selon lui, la loi elle-même passe après le bien quand il est urgent de le faire. La loi est indispensable dans une société : elle est protection pour chacun, elle est faite pour empêcher de mourir. Mais chacun sait que faire vivre, c’est tout à fait autre chose.
Miracle de Guérison et de réintégration : tellement bonne nouvelle, qu’on n’arrive pas à faire taire le bénéficiaire. Jésus a dit : “Attention, ne dis rien à personne !” Beaucoup d’exégètes se demandent pourquoi cette invitation au silence. Ils appellent ça le secret messianique : comme si Jésus avait conscience que le monde n’était pas prêt à comprendre. Toujours est-il que Jésus essaie en vain de faire taire le bénéficiaire : on ne peut pas faire taire quelqu’un qui se sent revivre. Une maman disait un jour : c’est comme quand on achète un cadeau pour le grand en présence du petit. On a beau dire : “chut… Faut rien dire jusque telle date”, il est rare que le silence tienne jusqu’à la date en question. Les vraies bonnes nouvelles : il est impossible de les arrêter.
Robert Tireau, Prêtre du Diocèse de Rennes