Interview de Pierre Perret qui sera en concert samedi 21 février au Centre Culturel de Saint Marcel (Eure)
20 févr. 2015Le centre culturel de Saint-Marcel accueille l'un des derniers monuments de la chanson française samedi 21 février à 20h30. Pierre Perret proposera un récital de plus de deux heures, un voyage en chansons d'hier et d'aujourd'hui. A quelques jours de ce rendez-vous, il s'est prêté au jeu du question-réponse avec une grande gentillesse et dit to ut le bonheur que lui procure le public. Extraits.
Comment allez-vous ?
Pierre Perret : J'ai la grippe, comme les trois quarts de la France. Ça m'a pris il y a trois jours, j'ai poussé un grand éternuement en scène. La salle entière était morte de rire. C'est comique pour les autres, mais pas pour soi. D'ici à samedi, je serai sur le pont, il n'y a pas de problème (l'entretien a eu lieu lundi après-midi, ndlr).
Vous avez dit récemment "je ne cours pas te cachet, je pourrais m'arrêter de chanter, mais je continue parce que ce n'est que du bonheur". Quel bonheur cela vous procure-t-il d'être sur scène?
Oh, c'est que du bonheur car il y a un public extraordinaire qui connaît absolument tout ce que j'ai fait depuis tout le temps. C'est un public généralement très fidèle. À la fin du spectacle, j'en vois qui me disent: 'Moi, je tous ai vu trois fois. Moi, je vous ai vu cinq fois. Moi, je vous suis partout". Ils connaissent tout. La plupart, ils ont les disques, les derniers enregistrements, des chansons que je chante sur scène, d'ailleurs, comme Pas très belle ou Si tu t'en vas, ou les chansons de l'avant-dernier disque Femmes battues ou bien La Femme grillagée; ils connaissent tout ça. Ils attendent que de les entendre parce que ce sont des chansons que je n'ai pas encore beaucoup chantées sur scène.
Il y aura vos succès.
Évidemment, elles sont piquées au milieu d'un champ pavé de chansons qu'ils connaissent par cœur, de Lily à Mon P’tit loup, en passant par La Cage aux oiseaux. Le Zizi, et tout ce que vous voulez. Les Incontournables qu'ils attendant aussi. Donc, je dois faire un savant mélange de tout ça pour faire un récital. Quand je vais sortir de scène, j'aurai chanté 2h05, voilà.
Et le public, que vous apporte-il comme bonheur ?
Pour moi, c'est un bonheur sans arrêt renouvelé car je n'ai jamais arrêté d'écrire. Il y a des gens qui vivent sur quatre Chansons depuis Cinquante ans, moi ce n'est pas vraiment le cas.
Oui, on parle de 450 chansons.
Oui, je suis plus près de 500.Ils en connaissent au moins le quart par cœur.
Et vous allez en glisser quelques-unes qui ne sont pas des "classiques", mais que vous vous aimez chanter ?
Oui, aussi parce que le récital est complètement renouvelé depuis un an ou deux. Il y a des chansons comme Mimi la douce, des chansons qui sont beaucoup moins connues et qui sont totalement surprenantes pour le public. Ils viennent me dire souvent à la fin, c'est marrant d'ailleurs: "La nouvelle, elle est formidable". La nouvelle, elle a trente ou quarante ans. C'est bien d'avoir cet éclectisme, de veiller à ça. D'abord pour susciter un intérêt, sans arrêt renouvelé d'une chanson à l'autre dans la salle. Et surprendre le public qui croit tout savoir, tout connaître. Mais le premier plaisir, pour répondre à votre question, c'est de voir, en arrivant, des gens avec une banane jusqu'aux oreilles, qui jubilent d'avance. Tout ça, c'est un "remboursement" fantastique de tous les efforts que vous avez pu faire tout seul devant votre page blanche et dans l'obscurité totale de savoir si ça va fonctionner, si ces chansons vont être comprises et aimées autant que vous les aimez quand vous mettez le point final à une chanson. C'est une affaire très délicate. Rien n'est jamais acquis d'avance.
Sur votre âge (il a fêté ses 80 ans le 8 juillet dernier à l'Olympia, ndlr), on dit que l'âge qu'on a nous est renvoyé par les autres, que dans sa tête on a toujours 15 ans, vous confirmez ?
Oh oui, même pas. Je n'y suis pas arrivé (rire). Moi, je dois arriver à ma première communion, pas loin...
Vous dites: « Je suis un témoin de mon temps »... ...
…absolument. Ça a été ce que j'ai essayé modestement de faire d'un bout à l'autre. Lily, c'était les balbutiements dé toute cette migration intensive et sauvage qui a commencé à y avoir. C'était un phénomène qu'on ne pouvait pas ignorer. De même que pour Le Zizi, les a priori qu'on avait par rapport au sexe, et surtout par rapport l'époque d'aujourd'hui qu'évidemment je ne pouvais pas subodorer a l'époque, parler simplement dans une chanson de sexe pendant presque quatre minutes, c'était une gageure Incroyable. C'est pour ça qu'elle était la dernière sur l'album, parce que je pensais qu'elle ne serait jamais passée à la radio.
C'est une chanson qui a 40 ans cette année, vous vous souvenez du moment où vous l'avez composée?
Oui, absolument. J'ai commencé cette écriture parallèlement avec presque l'écriture de Lily - que j'avais démarrée en 1971, au retour d'un voyage que j'avais fait à New York avec mon épouse et deux copains. J'avais sur le pont les deux chansons en même temps en écriture. Ce sont des chansons sur lesquelles j'ai travaillé trois ou quatre ans. J'étais allé au Madison square garden et on avait vu Angela Davis. Elle sortait de prison. Elle était venue faire un meeting dans une cage avec des protections pare balles. Et ça m'avait vraiment bouleversé de voir ça Quand je suis rentré en France, comme j'avais plus ou moins dans la tête l'idée de faire ça, j'ai été conforté par ce combat que menait Angela Davis. J'ai mis en chantier cette chanson sur le racisme. Et c'était marrant de mener l'écriture de front une chanson comme Le Zizi qui était aussi une autre intolérance, mais au niveau sexuel cette fois-ci. Et ça m'a toujours amusé de pousser mes pions sur des fronts aux antipodes les uns des autres, mais finalement II y a un fil d'Ariane entre tout ça, ce sont tous les interdits, tous les a priori, les ostracismes, tous les combats qu'il faut sans arrêt mener pour la liberté d'expression. Finalement, on en est encore au même point. C'est ce qu'on a pu voir avec l'ami Cabu et Wolinski qui viennent de se faire massacrer, qui étaient des copains de 30 ou 40 ans, même plus.
Ça ne vous désespère pas de voir que 40 ans plus tard on n'a pas avancé, voire on a régressé.
Si on va toujours dans le sens de l'histoire sans jamais rien essayer de faire bouger, autant rester dans son lit et ne jamais en sortir comme peut-être Alexandre le bienheureux, c'est une antre philosophie, ce n'est pas la mienne.
Moi, j'ai toujours eu en moi un aspect Don Quichotte, je ne sais pas si je me bats contre des moulins à vent... mais aujourd'hui, il y a une trentaine d'écoles qui portent mon nom et c'est sûrement aussi en partie â cause de chansons comme Lily qu'ils apprennent à l'école, dans leurs livres d'école depuis longtemps. J'ai reçu des milliers de lettres d'enfants qui ont fait des devoirs sur ça, eh ben, Il me semble que quand même je n'ai pas fait ça pour rien.
Vous êtes un éternel optimiste.
Je le suis tarît que Je l'ai tête qui fonctionne et que j'ai envie d'écrire - et j'ai toujours envie d'écrire! Alors pour moi, c'est formidable. Pourquoi je n'arrête pas ? Parce que j'ai toujours cette envie. J'al toujours un bouquin, des chansons sur le feu. J'ai toujours des choses à faire parce q u ' Intellectuellement ça fonctionne. Et puis on verra le jour où ça ne marchera plus. Ce n'est pas grave. J'ai fait quand même le plus gros de ce que je pouvais faire (rire).
David Chapelle
La Dépêche d’Evreux n°8639 page 19
20 février 2015