Qu'est ce qu'une bonne homélie ?
10 févr. 2015Alors que la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements au Vatican présente son nouveau « directoire sur l'homélie », manuel de prédication à destination des séminaristes et des prêtres, prêtres et paroissiens s'expriment sur ce qui, pour eux, constitue une bonne homélie.
On l'appelait « le roi des prédicateurs et le prédicateur des rois ». Ami de Bossuet, chouchou de Madame de Sévigné, familier de la cour de Louis XIV où il prêchait des retraites de Carême, le père jésuite Louis Bourdaloue avait la particularité de faire des homélies aussi longues que captivantes, s'offrant le luxe d'ignorer superbement la règle des sept minutes, au delà desquelles, dit-on l'auditoire le plus motivé commence à rêver au rôti de midi. Si le père Bourdaloue n'était pas du genre à endormir les foules, il n'avait hélas pas le pouvoir de contenir leurs besoins naturels et l'Histoire raconte que les dames de la cour dissimulaient un petit bassin sous leurs jupons afin de ne pas perdre une goutte de ses sermons... L'urinoir de fortune fut baptisé « bourdaloue », preuve qu'il n'est pas de petits hommages.
Alors que le Vatican présente son nouveau « Directoire sur l'homélie », manuel de prédication à destination des séminaristes et des prêtres, l'enthousiasme généré par les homélies du père Bourdaloue laisse rêveur. Le sujet préoccupe aussi le pape François qui, dans son exhortation apostolique Evangelli Gaudium lui a consacré 24 points sur 288. Il écrit : « L’homélie est la pierre de touche pour évaluer la proximité et la capacité de rencontre d’un pasteur avec son peuple. De fait, nous savons que les fidèles lui donnent beaucoup d’importance ; et ceux-ci, comme les ministres ordonnés eux-mêmes, souffrent souvent, les uns d’écouter, les autres de prêcher. Il est triste qu’il en soit ainsi ».
Ne pas « cuculpabiliser » ni « exégésir »
Qu'est-ce qu'une bonne homélie ? Le père David Lerouge, prêtre à Cherbourg et auteur du blog« J'apprends à regarder » a établi un truculent « dicomélie », dictionnaire humoristique des écueils homilétiques, entre lesquels le prédicateur doit naviguer afin de ne pas noyer son auditoire : « Acidacétylsalicyliquer : (effervescent) se faire mousser en homélie avec des mots compliqués (attention, effets secondaires inattendus, notamment des céphalées) », « Culculpabiliser : mettre tout le monde mal à l’aise sur les questions affectives avec des propos vindicatifs, péremptoires et désincarnés-rose-bonbon », « Exégésir : crouler à mort sous les explications historicocritiques, étymologies et commentaires intrabibliques », « Grhomméliser : faire une homélie où tout le monde va en prendre pour son grade, sans avoir rien demandé à personne », « Ikeabuser : Meubler à outrance avec des objets de qualité relativement douteuse sur le long terme » ou encore « Vatifoler : citer follement in extenso des paragraphes de conciles qu’on peinerait à comprendre à l’écrit, et se persuader que tout le monde va les comprendre à l’oral ».
Pour Antoine, la soixantaine, « une homélie est réussie quand, une fois la messe terminée, l’auditeur se souvient d’au moins une phrase qu’il a entendue », souvenir qui l'aide à devenir« meilleur » dans sa vie spirituelle. Pour lui, l'homélie idéale commence par une « opening joke », (blague d'ouverture), qui peut être « drôle, choquante, ou surprenante » et « doit faire croire à l’auditeur que s’il écoute bien, il y en aura d’autres ». Elle ne doit cependant pas être trop« marquante », pour ne pas enfermer l'auditeur dans une méditation obsessionnelle de ladite bague au détriment de la suite. Y sont bannis « les mots inconnus comme parrhésie et parousie », le« jargon moderne » et les « propos tièdes et consensuels ». La bonne homélie, pour Antoine, cueille l'auditeur « à contre-pied ». Elle est structurée et montre que le prédicateur sait où il va, pas qu'il le découvre en cours de route.
La bonne homélie ? Sarah, 8 ans, François, 6 ans, et Louise, 3 ans, répondent en choeur : « Il faut que ce ne soit pas trop long et que le prêtre parle de Jésus, parce que c'est Jésus qui est intéressant. » Et le corps dans tout ça ? Pour Elise, étudiante de 22 ans, la gestuelle est importante mais ne doit pas être trop théâtrale : « Je suis plus attachée à de petits gestes simples, des attentions, comme lorsque le prêtre regarde les gens installés sur les côtés ». Certains ont des « trucs » originaux comme ce prêtre qui apportait toujours des objets incongrus – bottes de carottes, etc. – et, joignant le geste à la parole, les brandissait en pleine homélie pour capter l'attention de son auditoire.
« Comment la parole de Dieu nous brûle... »
Pour Anne, trentenaire engagée dans l'Eglise, « l'homélie doit parler de l'essentiel, du salut, et le prêtre doit être cohérent avec ce qu'il dit : ainsi, par exemple, celui qui prêche contre la médisance doit essayer de montrer l'exemple. » Avis partagé par le père Jean-Baptiste Nadler, prêtre à Tours :« Le meilleur prédicateur c'est Jésus car il est lui même la Parole qu'il annonce, le Verbe de Dieu. En paroisse, les gens nous connaissent et l'homélie n'est pas une entité détachée du contexte. L'homélie qui touche n'est pas nécessairement celle où il y a le plus de brillant, c'est celle où il y a adéquation entre ce que l'on dit et ce que l'on vit. La vie spirituelle du prêtre est le terreau de l'homélie. »
De la même manière, analyse, le père Vianney Jamin, à Maison-Laffite, « l'homélie fait partie de la liturgie de la Parole de Dieu : elle doit être, elle aussi, Parole de Dieu pour aujourd'hui.. Cela suppose que le prédicateur se laisse prendre par le Saint-Esprit, qu'il parle, d'une certaine manière, "in persona Christi" même si, strictement parlant, il n'agit "in persona Christi" qu'au moment de la consécration... Cela demande de la préparer dans la prière, en demandant au Seigneur ce que lui veut dire à son peuple.»
Ainsi, l'abbé François Vanandruel, prêtre à Bruxelles, commence à préparer ses homélies dès le mardi : « Je prie avec la parole le mardi et le mercredi. Le jeudi, je lis des texte exégétiques... Et le vendredi je vois ce que je vais garder pour les gens à qui je m'adresse. » Le père Olivier de Saint-Martin, prieur des dominicains – « ordre des prêcheurs » – de Toulouse, insiste lui aussi sur la préparation à laquelle il consacre entre 3 et 5 heures : « L'homélie doit être simple mais la simplicité demande beaucoup de travail ! ». Il poursuit : « Il faut s'interroger sur ce que les gens ont besoin d'entendre, ce qui les préoccupe et se nourrir de ce qu'ont dit les devanciers, les Pères de l'Eglise. Mais l'homélie dépend beaucoup du prêtre, elle doit dire comment la Parole de Dieu nous brûle. Comme l'écrit Bernanos, “Un prêtre qui descend de la chaire de Vérité la bouche en machin de poule, un peu échauffé, mais content, il n'a pas prêché, il a ronronné, tout au plus.“ »
L'effet boomerang
Il est un effet de l'homélie moins connu que les autres, c'est l'effet boomerang. Ou comment le prêtre est parfois surpris de constater que ce qui a frappé son auditoire n'est absolument pas ce qu'il avait prévu. Olivier de Saint-Martin cite l'exemple d'un confrère qu'un fidèle était allé trouver à la fin d'une messe pour lui confier qu'il avait changé de vie après l'avoir entendu prêcher quelques mois auparavant. Flatté, intrigué, il lui demanda : « pourquoi ? » Et l'homme répondit : « A un moment, vous avez dit : « quand j'ai terminé le premier point, je passe au second » alors je me suis dit que j'avais terminé le premier point de ma vie et que je devais passer à l'étape suivante »...
Pour approcher cet imprévisible, Olivier de Saint-Martin fait relire chaque homélie par deux personnes différentes, et régulièrement il demande l'avis de confrères après la messe. Il raconte la réaction de l'un d'entre eux après sa toute première prédication. « Sur la forme, je me suis fait laminer. Et quand j'ai demandé ce qu'il en était du fond, il m'a répondu : « C'est très bien, tu as dit tout ce qu'on a dit depuis cinquante ans. » J'aurais préféré qu'il me dise que j'étais le nouveau saint Dominique, commente-t-il avec humour, mais je pense qu'il n'y a rien de tel qu'un ami capable de nous dire la vérité. Autant, je suis contre la réaction épidermique du paroissien qui saute sur le prêtre à la sortie de la messe pour lui adresser des critiques parce que je pense que nous sommes particulièrement vulnérables à ce moment-là, autant il est important que des gens sachent nous dire la vérité avec simplicité. »
Parfois sans ménagement. A 80 ans, Claude Babarit, prêtre aux Sables d'Olonne, raconte :« Certains prennent le temps d'en dire à mot à la porte de l'église, mais en général, ce n'est pas sans que cela ait été sollicité. Dans les cas extrêmes, il y a la personne qui est sortie bruyamment en pleine homélie pour manifester son désaccord ou à l'inverse la personne à qui l'on demande après la messe : "Qu'est-ce que vous avez pensé de l'homélie ?" et qui répond : "Parce qu'il y a eu une homélie ?"... »
MARIE-LUCILE KUBACKI