Quand des musulmans norvégiens protègent la synagogue d'Oslo

La photo des nombreux musulmans entourant par solidarité la synagogue d'Oslo le 21 février a fait le tour des grands médias internationaux. L'action était en effet inédite, inattendue et, apparemment, très populaire. Une raison de plus de rappeler le contexte, également particulier, de cette manifestation norvégienne.

L'appel au rassemblement avait été fait quelques jours plus tôt par un groupe d'une dizaine de jeunes musulmans norvégiens via Facebook sur une page intitulée « Le cercle de la paix » (Fredens ring). L'idée étant de former une chaîne humaine autour de la synagogue d'Oslo pour témoigner du dégoût devant l'antisémitisme après les attentats meurtriers à Copenhague et à Paris commis par des terroristes djihadistes. Les organisateurs expliquaient le sens de leur action ainsi : « L'islam, c'est protéger nos frères et sœurs, indépendamment de leur religion. L'islam, c'est dépasser la colère et ne jamais s'abaisser au même niveau que ceux qui haïssent. L'islam, c'est se protéger les uns les autres. »

Après une certaine médiatisation, le rassemblement a finalement réuni le samedi 21 février plus de mille personnes, voire deux mille, après la prière dans la seule synagogue d'Oslo. Des dizaines de musulmans, mais aussi des juifs, des chrétiens et des non croyants, ont effectivement formé une chaîne autour de la synagogue en entonnant des chants juifs en hébreu. Plusieurs hommes politiques ont également participé, dont le maire d'Oslo. Ainsi que des pasteurs luthériens.

Surtout, les responsables des différentes communautés religieuses soutenaient activement le rassemblement. A commencer par le chef de la communauté juive, Ervin Kohn, qui avait donné le feu vert à l'action. Ces responsables ont l'habitude de dialoguer et de monter des actions ensemble pour prévenir contre des violences entre communautés. On les a vus marcher côte à côte le 12 janvier dernier dans le cadre d'une contre-manifestation à l'occasion d'une marche anti-islam organisée par Pegida à Oslo.

En Norvège, comme en Suède, les agressions anti-musulmanes (phénomène aussi fréquent qu'en France) provoquent quasi-systématiquement une réponse de solidarité de la part de la société civile, notamment des communautés chrétiennes. Ainsi, quand une mosquée essuie des jets de pierres ou de cocktails molotov, il est désormais de coutume d'organiser des actions de « bombardement d'amour » (des citoyens viennent poser des cœurs en papier sur les murs de la mosquée). Des actes de solidarité auxquels les communautés musulmanes se montrent particulièrement sensibles. Il est également fréquent que des organisations musulmanes organisent des actions en solidarité avec des juifs ou des chrétiens agressés.

Ce bon climat interreligieux fonctionne d'autant mieux que le dialogue et le vivre ensemble entre les religions est activement encouragé par les élus, au niveau local et au niveau national. Parfois, le religieux et le politique se confondent, sans émouvoir qui que ce soit. Un des musulmans les plus écoutés en Norvège est l'ancien responsable du Conseil islamique d'Oslo, Shoab Sultein (jusqu'en 2011). Cet ex-Pakistanais a toujours été politiquement engagé et se présente régulièrement sur une liste du Parti écologiste norvégien (les Verts). Il travaille maintenant comme consultant pour les autorités dans le domaine du combat contre la discrimination.

A l'instar de Shoab Sultein, l'islam en Norvège est essentiellement le fait d'une immigration lointaine et plutôt récente (depuis les années 1970). C'est aussi un islam plutôt bien intégré et numériquement important, surtout à Oslo, où il y aurait pas moins de 100 000 musulmans sur quelques 600 000 habitants. Par comparaison avec cette communauté musulmane jeune et dynamique, la communauté juive avec son millier de membres plutôt vieillissants fait figure de groupe ultra-minoritaire en voie de disparition.

Malgré cette bonne entente, l'action du 21 février devant la synagogue n'a pas suscité que des commentaires positifs. En effet, parmi les jeunes organisateurs, plusieurs ne se sont pas contentés de dire leur opposition à l'antisémitisme. C'est notamment le cas de Muhammad Ali Chishti, longtemps connu comme un pro-palestinien extrémiste. En 2009, il expliquait lors d'un meeting pour la Palestine qu'il « détestait les juifs et les gays ». Des propos qu'il regrette aujourd'hui dans une interview qu'il a donné au quotidien Verdens gang. Aujourd'hui, tout en dénonçant des théories de conspiration anti-juives qui connaissent un grand succès chez de nombreux musulmans scandinaves, il a jugé bon ce même 21 février de critiquer la politique d'Israël. Sans craindre que cela ne soit perçu par les juifs norvégiens comme une ambiguïté.

HENRIK LINDELL

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