Homélie du dimanche 15 mars 2015

2 Chroniques 36, 14-16.19-23 ; Psaume 136 ; Ephésiens 2, 4-10 ; Jean 9, 1-41

En sortant du temple, Jésus vit sur son passage un homme qui était aveugle. Tout commence par un regard de Jésus. Il a vu. Il faudrait compter les fois dans l’Evangile où Jésus a vu.

Qui a péché pour que cet homme soit né aveugle ? Pourquoi la souffrance des enfants ? Pourquoi la violence ? Pourquoi la maladie ? Au temps de Jésus, on voyait, dans les péchés, l’origine des maladies et des catastrophes. Aujourd’hui, on mettrait plutôt Dieu en accusation en le niant : “Si Dieu existait, il n’y aurait pas la guerre” ; ou en le prenant à parti : “Qu’est-ce que j’ai fait à Dieu pour qu’il m’arrive ce malheur” ? Beaucoup, même, ne cherchent plus à expliquer. Et la présence du mal, et son fameux pourquoi restent sans réponse. Jésus, lui, donne une réponse étonnante : c’est pour que soit manifestée en lui l’action de Dieu. Il serait né aveugle pour qu’on voie Dieu ! Jésus ne cherche pas les causes, il ne s’attarde pas dans le passé, il regarde l’avenir. Ce n’est pas le pourquoi (en un mot) qui retient son attention, mais le pour quoi (en vue de quoi).

Ne cherchons pas des coupables. Et surtout ne cherchons pas Dieu du côté des coupables. Cherchons-le toujours du côté du souffrant, comme cet aveugle qu’il guérit. Une guérison qui rappelle la création (avec de la glaise). Une guérison rapide, qui ne cherche pas le spectaculaire, mais qui permet une véritable naissance pour l’aveugle. Ne cherchons pas Dieu du côté des coupables de malheurs. Dans notre texte, il est même suspect de guérison. Très vite en effet, le miracle est dépassé par le procès. Un procès décrit minutieusement. Avec un verdict clair : cet aveugle n’a pas le droit de voir. Il n’a pas les autorisations requises pour voir. Jésus est coupable de guérison interdite le jour du sabbat. Alors que la vraie question devrait être : quelle est cette lumière de la foi qui a permis à cet homme de voir l’invisible, de proclamer “Je crois, Seigneur !” et de se prosterner devant Jésus ? Ne cherchons pas Dieu du côté des coupables, cherchons-le, en son fils ressuscité, du côté du souffrant, des malades, des exclus, des pécheurs, luttant contre toutes les formes du mal, jusqu’à donner sa vie. Cherchons-le du côté de la vie des hommes d’aujourd’hui où son fils ressuscité se rend présent.

Des catéchumènes – des adultes qui se préparent au baptême – ont appris, ces derniers mois, à ouvrir les yeux de façon nouvelle sur l’évangile et sur leurs frères. A Pâques ils célébreront le sacrement qu’on appelait autrefois sacrement de l’illumination. Comme si le miracle de la guérison de l’aveugle-né continuait. Vous qui avez reçu le sacrement de l’illumination, avez-vous pensé à faire un examen de contrôle de votre vue ? Le carême est un bon moment pour ça.

* Car si ton œil est distrait, tu ne peux pas aimer. Maladie subtile que la distraction qui rapetisse notre cœur : “Excusez-moi, je n’ai pas fait attention.” L’évangile en parle : “Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu avoir faim, avoir froid ?”(Matthieu 25) Et ce riche que Jésus dénonce, non pas parce qu’il a fait du mal à Lazare, mais parce qu’il ne l’a pas vu (Jean 11). Décider d’aimer, c’est décider de faire attention à ceux que l’on rencontre.

* Et si ton œil est sévère, tu ne peux pas aimer. Un regard qui classe ou qui condamne, c’est un regard qui tue. On dit même parfois: “il m’a fusillé du regard”.

* Et dans l’évangile, observez donc le regard que Jésus pose sur les personnes. Le Père Decourtray l’a fait et il a écrit : “Quand Jésus a vu la Samaritaine, il n’a pas vu en elle qu’une femme légère, il lui demande un verre d’eau et il engage la conversation ; quand il a vu Zachée, il n’a pas vu en lui qu’un fonctionnaire véreux, il s’invite à sa table ; quand Jésus a vu Judas, il ne lui a pas dit : Tu seras toujours un traître, il l’embrasse et lui dit : mon ami.” Laissons-nous gagner par la contagion de ce regard, c’est la contagion de l’amour

Et puis, si nous avons accepté l’examen de notre vue et son diagnostic, il nous faudra accepter l’ordonnance : ce sera demander : “Seigneur, fais que je voie.” Car c’est Jésus qui guérit les yeux. Que ce soit notre prière… et le miracle de la guérison de l’aveugle continuera.

Que le carême nous invite à quelques petits pas, pourquoi pas dans le sens d’un élargissement de nos relations ? Le Christ invite à bouger. Comme l’écrit Gabriel Ringlet : A l’aveugle de naissance, Jésus ne dit pas : “Vois ! Ta foi t’a sauvé.” Il dit : “Va! Ta foi t’a sauvé.” Et c’est parce qu’il va qu’il voit.

Robert Tireau, prêtre du diocèse de Rennes,

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