Homélie du dimanche 22 mars 2015

Jérémie 31, 31-34 ; Psaume 50 ; Hébreux, 5, 7-9 ; Jean 12, 20-33

Nous sommes tout près de la grande semaine, que nous appelons sainte. Tout devient petit à petit plus intérieur, comme les mots de Jérémie (1ère lecture) au sujet de l’Alliance : “Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai dans leur cœur.” L’Alliance n’est plus un contrat mais une manière d’exister. C’est de l’intérieur que l’homme sait comment il doit se comporter devant Dieu qui entretient avec lui une relation de connaissance mutuelle. L’homme découvre Dieu en contemplant Jésus qui chemine vers le Père.

Ce sont les derniers jours de Jésus qui nous révèlent le plus sa relation avec le Père. Jésus laisse voir le dernier moment de sa vie comme un passage. Il en est bouleversé et se met à prier : on se croirait à l’agonie au Jardin de Gethsémani. La voix du ciel retentit comme à la Transfiguration : personne ne peut voir le Père sans être transfiguré. Le Père atteste qu’il est avec Jésus, que sur le chemin de croix brille la gloire de Dieu. Révélation paradoxale : l’amour rayonne en se dévouant jusqu’à l’extrême. Quand Dieu vient habiter un visage et se jeter dans les remous de nos sociétés, voilà comment il laisse voir sa présence éblouissante.

Jésus, dès ses premières paroles publiques en Galilée, avait regardé le grain s’envoler de la main du semeur, se perdre dans les ronces et la rocaille, mais aussi porter du fruit dans la bonne terre. C’était pour lui une image du don que Dieu offre et même gaspille chez les hommes. Jésus avait reconnu le Royaume de Dieu jusque dans la semence qui pousse toute seule, jusque dans la graine la plus minuscule (sénevé) qui va déployer des branches en plein ciel. Mais aujourd’hui, voilà qu’il se présente lui-même comme la semence. Cette histoire de grain de blé est comme une autobiographie. Le grain de blé, c’est lui. Et toutes les résurrections, tous les repas autour du pain d’action de grâces, toute la gloire de Dieu illuminant les visages, tous ces moments sont déjà là à travers une parole, et bientôt (le Jeudi Saint) à travers des gestes. « Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul. Mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits. » Le gain de blé qui meurt… pour vivre ! Par sa Pâque, Jésus nous révèle qui est Dieu, et qui est l’homme.

Qui est Dieu ? Non pas le dictateur tout-puissant de nos imaginations. Mais un Dieu qui se donne et qui aime jusqu’au bout : “Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.” La loi essentielle du mystère de Dieu est celle du grain de blé. Jésus ne garde rien pour lui-même. Il n’est pas tenté par le suicide, mais il vit sa mort comme une solidarité avec l’humanité souffrante. Il ne fait pas de raisonnement devant sa croix, il l’envisage comme des semailles. Durant l’hiver, le grain de blé enfoui dans la terre semble mort. Mais il pointe au printemps et devient épi, promesse de moisson. La vraie mort n’est pas physique, mais c’est plutôt le refus de se donner, le repli stérile sur soi-même.

Qui est l’homme ? Cette révélation du cœur de Dieu est aussi dévoilement de ce qui fait le fond de notre cœur : nous sommes faits, nous aussi, pour le don total de nous-mêmes dans l’amour. Pour nous non plus, pas de plus grand amour que de donner notre vie pour ceux que nous aimons. La loi du grain de blé qui se dissout en terre pour resurgir démultiplié, c’est notre loi à nous aussi qui avons été créés à l’image de Dieu.

Des Grecs, des pèlerins étrangers (début de notre évangile) veulent voir Jésus ? A travers eux, on aperçoit déjà la grande diversité des peuples qui regarderont vers lui au long des siècles. “Quand j’aurai été élevé de terre, disait Jésus, j’attirerai à moi tous les hommes”. Et ça continue avec tous ceux qui lèvent encore les yeux vers la croix. Je pense à ces enfants qui visitaient une église. C’est leur guide qui raconte : “Les enfants écoutent sagement, mais peu à peu, je sens leurs regards scotchés sur la grande rosace multicolore représentant le Christ sur une immense croix. Et des mains se lèvent : « C’est qui le monsieur qui est cloué comme ça ? Pourquoi on lui a fait ça ?»

Grain de blé qui meurt pour vivre ! Nous savons qu’elle est vraie cette annonce. Car tous ceux qui se sont mis à vivre comme Jésus, on a souvent essayé de les faire taire. Quelquefois même on a réussi. Mais chaque fois, ils parlent encore plus forts quand ils sont morts que durant leur vie.

Robert Tireau, Prêtre du Diocèse de Rennes

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