Mgr Vesco, évêque d’Oran : "L’Église ne peut séparer des personnes qui s’aiment"

« Quand il y a rupture d’un mariage, d’un amour, la question du pardon est centrale. Pourquoi l’Église n’accompagnerait-elle pas cette étape ? », Mgr Jean-Paul Vesco. © Eric GArault / Pasco

Pèlerin. Vous avez été ordonné évêque d’Oran le 25 janvier 2013 : présentez-nous votre diocèse.
Jean-Paul Vesco. Je suis pasteur d’une toute petite Église en Algérie, un diocèse d’une douzaine de prêtres, cinquante religieux et religieuses, quelques milliers de fidèles, notamment des étudiants et des migrants. L’évêque est à la fois le curé d’une petite paroisse et l’interlocuteur, l’ambassadeur, de l’Église universelle dans un contexte non chrétien.

Est-ce l’occasion d’un dialogue avec l’islam ?
J.-P. V. Il s’agit d’abord de vivre ensemble. J’aime cette quotidienneté : c’est un dialogue de vie avant d’être un dialogue interreligieux. C’est passionnant de vivre sa foi dans un contexte de forte minorité. C’est de plus en plus vrai pour l’Église de France. Le risque de la minorité est de se refermer : c’est le communautarisme. Mais nous pouvons aussi être plus intelligents pour être présents au monde.

Quel souvenir reste-t-il de Pierre Claverie, évêque d’Oran, assassiné le 1er août 1996 ?
J.-P. V. Sa mort a été un traumatisme. On me parle encore du bruit de la bombe entendu dans tout Oran. Pierre Claverie était un pasteur. C’est le frère qui nous manque. Bizarrement, quand j’ai appris sa mort, j’ai senti que cela avait quelque chose à voir avec moi. Maintenant, j’ai repris sa crosse et je suis toujours ému chaque fois que je m’en saisis.

Vous avez écrit : « Tout amour véritable est indissoluble. » Pourquoi l’évêque d’Oran se mêle-t-il du débat au sujet des divorcés remariés ?
J.-P. V. Même si mon diocèse n’est pas trop concerné, l’évêque d’Oran est aussi évêque de l’Église universelle. Et puis, c’est pour moi une question beaucoup plus ancienne : tant de personnes sont blessées ! L’Église est en flagrant délit de contre-témoignage quand elle rejette des personnes qui souffrent.

Y a-t-il des fondements théologiques pour légiférer autrement ?
J.-P. V. Le projet de Dieu est de faire de l’homme et de la femme une seule chair : c’est un projet d’alliance très fort. Il est bon de reconnaître toute la valeur de cet idéal de l’amour indissoluble, et personne ne le conteste, surtout pas ceux qui souffrent. Mais il peut arriver que ce mariage échoue. Or, l’indissolubilité est pensée comme… un cadenas ! C’est fini !

La conséquence de l’échec du mariage, c’est une vie dans le célibat. Certains peuvent faire ce choix spirituel. Mais il faut pour cela une grâce particulière, sinon, c’est le résultat d’une humanité blessée.

Mais une fois passée la douleur de la rupture, peut venir l’envie de vivre une nouvelle fois sa vocation d’époux, d’épouse, de parent.

C’est cette seconde alliance qui pose problème. Pourquoi ?
J.-P. V. Si on entre dans une deuxième alliance, on est adultère parce que la première alliance n’a pas été déliée. C’est un argument juridique : cela n’a rien à voir avec ce qui est vécu. Je ne connais pas de parents dont des enfants ont divorcé qui se disent : « Pourvu que mon fils ou ma fille ne se remarie pas, pourvu qu’il reste bien fidèle à son mariage. »

Mais la condamnation de l’adultère est annoncée par Jésus dans l’Évangile.
J.-P. V. La parole de Jésus est importante, mais un peu instrumentalisée : les pharisiens veulent le piéger. C’est un débat juridique pour interpréter Deutéronome 2, 24 : peut-on répudier pour n’importe quel motif ou seulement pour une raison sérieuse ? Et Jésus dit : pour aucun motif. Quand vous répudiez votre femme vous êtes adultère. Vous en épousez une autre, vous êtes adultère. Deux mille ans après, cette parole est appliquée à tout homme et à toute femme. Comment l’Église peut-elle dire à des personnes qui s’aiment : « Vous êtes adultères, séparez-vous. » ? Ce n’est pas possible !

Les paroles de Jésus sont pourtant sans appel…
J.-P. V. Mais prononcées dans un contexte précis, où l’on voulait le piéger ! Je remarque quand même que nous avons su relativiser d’autres paroles : « N’appelez jamais personne “père”, parce qu’il n’y a qu’un Père qui est aux cieux. » Et nous sommes appelés « père », les évêques en premier !

Dans votre livre, vous distinguez l’amour indissoluble et le sacrement du mariage.
J.-P. V. Pour beaucoup aujourd’hui, l’échange des « oui » à l’église fait l’indissolubilité. Or, celle-ci n’est pas la conséquence du sacrement mais la cause. Notre théologie reconnaît la valeur de l’amour humain : quand un homme et une femme se donnent l’un à l’autre, il se crée du définitif. C’est ainsi que l’Église reconnaît l’indissolubilité du mariage civil entre deux non-baptisés. L’indissolubilité de l’amour préexiste donc au mariage sacramentel, même si celui-ci « vient donner une force particulière », selon l’article 1 056 du droit canon.

J.-P. V. Tout à fait : et l’Église ne peut pas demander à des personnes qui s’aiment de se séparer. En fait, la discipline actuelle pèche par un déficit de prise au sérieux de l’indissolubilité de l’amour humain !

Si c’est l’amour qui scelle l’indissolubilité, le remariage est aussi une histoire d’amour…

Certains prônent une procédure de nullité du mariage, plus facile : n’est-ce pas une solution ?
J.-P. V. Pour ma part, quand il y a des enfants, cela devrait simplement être impossible ! La nullité signifie que le mariage n’a pas existé, ce qui ne correspond pas à la réalité. Quant à ouvrir la nullité au manque de foi, comment en juger ?

Dès lors, pourrait-on bénir le nouveau lien sans que ce soit du registre du sacrement ?
J.-P. V. Cela ne pourra jamais être de l’ordre du sacrement. Pourquoi ? Parce que le droit canon rappelle les deux caractéristiques du mariage : l’indissolubilité et aussi l’unité qui est la trace indélébile du sacrement. Mais je crois que le Seigneur « dit du bien » quand deux personnes se donnent l’une à l’autre dans la fidélité, et construisent la vie : c’est une « bénédiction ». Il faudrait trouver la manière de le dire en Église plutôt que de laisser, comme souvent, chaque prêtre bricoler. Le synode aurait pu inviter les conférences épiscopales à réfléchir à un rituel de bénédiction d’une union non sacramentelle.

N’est-ce pas, de votre part, un excès d’optimisme ? La question paraît moins avancée…
J.-P. V. Le pire serait de classer l’affaire sans y toucher. Que se passerait-il ? Les divorcés remariés se détourneraient des sacrements ou communieraient en cachette. Comment les tenir enfermés dans cette condamnation ? L’Église s’appuie sur cette notion de persistance de l’état de péché. Or, on ne peut pas qualifier ce nouveau lien de « délit continu »… C’est une catégorie juridique classique de tous les systèmes de droit : la différence entre infraction continue et infraction instantanée. Je m’explique : si je tue quelqu’un, c’est instantané, je ne peux plus revenir en arrière. Je peux être condamné, mais aussi regretter et demander pardon. En revanche, si je vole un livre, tant que je ne l’ai pas rendu, il est inutile de demander pardon… C’est une infraction continue. L’Église considère le remariage comme un délit continu, ce qui empêche tout pardon. Que reste-t-il de la miséricorde ?

Ne faudrait-il pas imaginer une démarche pénitentielle, une étape pour renouer avec les sacrements ?
J.-P. V. Bien sûr. Quand il y a rupture d’un mariage, d’un amour, la question du pardon est centrale. Pourquoi l’Église n’accompagnerait-elle pas cette étape ? Au moment du remariage, il peut y avoir un jeûne eucharistique pendant un temps, un accompagnement vers le sacrement de réconciliation des divorcés remariés… Quel signe pastoral ce serait dans nos communautés !

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En aparté

Depuis son ordination épiscopale, l’évêque quitte avec peine son diocèse d’Oran. De passage à Paris, Mgr Jean-Paul Vesco développe sa pensée à propos des divorcés remariés. L’ancien avocat entré dans l’ordre des Frères prêcheurs a trop souffert de voir des proches ou des amis s’éloigner de l’Église à la suite d’un remariage. Le regard vif, l’ancien provincial des Dominicains de France a le sens de l’amitié, de l’échange. Il cultive la passion de la rencontre, du dialogue, de l’écoute. Voilà un dominicain qui, comme le pape jésuite, est converti à une simplicité toute… franciscaine.

A lire :

Tout amour véritable est indissoluble, Jean-Paul Vesco, Éd. du Cerf, 110 p. ; 9 €

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