Mgr Barbarin :« L’Église n’essaye pas de faire passer un discours à toute force sur le mariage »
26 mai 2015La population irlandaise s’est prononcée à 62 % des voix pour la légalisation du mariage entre personnes de même sexe. Entretien avec l’archevêque de Lyon, pour qui l’Église doit« ouvrir les yeux », c’est-à-dire « entendre le désir des personnes homosexuelles ».
L’archevêque de Dublin, Mgr Diarmuid Martin, a réagi aux résultats du référendum en disant que l’Église devait à la fois « trouver un nouveau langage pour parler aux gens » et « ouvrir les yeux ». Que signifient ces deux impératifs pour l’Église, au-delà de l’Irlande ?
Cardinal Philippe Barbarin : Il me semble que ce “nouveau langage” est une référence au fait que l’on a faussé, durci, rétréci le langage de la Bible. Il faut se souvenir que la parole de Dieu n’est pas un ensemble de règlements : elle est une parole de liberté, une condition de la liberté. Oui, il nous faut « ouvrir les yeux », c’est-à-dire écouter, entendre le désir des personnes homosexuelles, ne pas détourner le visage lorsqu’elles viennent nous voir. Nous devons non seulement leur dire qu’elles sont aimées de Dieu, mais aussi leur montrer la place qu’elles ont dans l’Église. L’Église doit reconnaître qu’elles ont de la valeur.
Comment l’Église peut-elle promouvoir son enseignement sur le mariage, dans des sociétés où elle est de plus en plus marginalisée ? N’a-t-elle pas perdu sa crédibilité ?
Card. P. B. : Je n’aime pas ce mot de crédibilité : je ne cherche pas à vendre une marchandise. Si je considère que la parole de Dieu est éclairante, il faut que je la dise. Mais pour qu’elle touche les cœurs, je dois comprendre la personne en face de moi.
Plusieurs fois, des couples homosexuels sont venus me voir, en toute sincérité, me disant qu’ils avaient été blessés par des prêtres, lors d’une confession. À la fois, certains voient que ce qu’ils vivent n’est pas conforme à la parole de Dieu, et en même temps, ils se présentent à l’Église tels qu’ils sont, vivant leur engagement l’un à l’égard de l’autre dans la sincérité. Je ne conteste pas cela, pas plus que l’authenticité de leur désir, mais je leur dis qu’il y a plus de vie et de vérité dans la parole de Dieu que dans leurs désirs.
L’Église n’essaye pas de faire passer un discours à toute force. C’est à nous, chrétiens, de l’incarner, tout en reconnaissant que nous ne sommes pas parfaits et que cette parole est aussi valable pour nous. C’est sans doute ce à quoi fait référence l’archevêque de Dublin lorsqu’il dit que nous vivons dans une « zone grise », et non pas dans un monde « en noir et blanc ».
Cela signifie-t-il que l’Église doit reconnaître du « bon » dans le couple homosexuel ?
Card. P. B. : Dans toute personne, il y a des choses bonnes. Chez les couples homosexuels que je connais, il y a des aspects que j’admire : leur combat, leur foi, leur générosité. Je ne conteste pas non plus qu’il y ait entre eux des gestes de charité et de bonté. Certains sont également d’extraordinaires messagers de Jésus. D’ailleurs, lorsque j’écris un texte sur le sujet, il m’arrive souvent de le faire relire par des personnes homosexuelles, et même si elles ne sont pas d’accord avec moi sur le fond, elles ont assez de charité pour me signaler tel ou tel mot qui pourrait blesser inutilement.
Toutefois, lorsque l’on me demande une bénédiction, je ne bénis pas les unions mais j’accorde la bénédiction à chaque personne, individuellement. Nous prions ensemble pour que le Seigneur fasse son travail dans les cœurs, et que chacun distingue la volonté de Dieu, et non la sienne.
Loup Besmond de Senneville