Homélie du dimanche 14 juin 2015

Nous retrouvons, ce dimanche, le rythme du temps ordinaire qui va nous conduire jusqu’au temps de l’Avent. L’été fait bientôt sa rentrée, et la nature a revêtu ses habits de fête, avec des fleurs et des verdures foisonnantes. Les arbres secs et dénudés ont reverdi. Les graines semées au printemps ont germé et donnent forme à des plantes de toutes sortes. Les paraboles du prophète Ezéchiel et de Jésus sont tout à fait de saison. Par la bouche d’Ezéchiel, Dieu annonce à son peuple que s’achèvent pour lui les hivers de l’exil.

Ainsi parle le Seigneur Dieu : « À la cime du grand cèdre,
je prendrai une tige ; au sommet de sa ramure,
j’en cueillerai une toute jeune,
et je la planterai moi-même sur une montagne très élevée.
Sur la haute montagne d’Israël je la planterai.
Elle portera des rameaux, et produira du fruit,
elle deviendra un cèdre magnifique.
En dessous d’elle habiteront tous les passereaux et toutes sortes d’oiseaux,
à l’ombre de ses branches ils habiteront.
Alors tous les arbres des champs sauront que Je suis le Seigneur :
je renverse l’arbre élevé et relève l’arbre renversé,
je fais sécher l’arbre vert et reverdir l’arbre sec.
Je suis le Seigneur, j’ai parlé, et je le ferai. »

Jésus s’est inspiré beaucoup de l’image des arbres dans son enseignement. Quand il s’adresse à la foule et lui parle du Règne de Dieu qui germe et grandit, il emploie souvent des paraboles printanières et estivales.

En ce temps-là, parlant à la foule, Jésus disait :
« Il en est du règne de Dieu comme d’un homme qui jette en terre la semence :
nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève,
la semence germe et grandit, il ne sait comment.
D’elle-même, la terre produit d’abord l’herbe,
puis l’épi, enfin du blé plein l’épi.
Et dès que le blé est mûr, il y met la faucille,
puisque le temps de la moisson est arrivé. »
Il disait encore : « À quoi allons-nous comparer le règne de Dieu ?
Par quelle parabole pouvons-nous le représenter ?
Il est comme une graine de moutarde :
quand on la sème en terre, elle est la plus petite de toutes les semences.
Mais quand on l’a semée,
elle grandit et dépasse toutes les plantes potagères ;
et elle étend de longues branches,
si bien que les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid à son ombre. »
Par de nombreuses paraboles semblables,
Jésus leur annonçait la Parole,
dans la mesure où ils étaient capables de l’entendre.
Il ne leur disait rien sans parabole,
mais il expliquait tout à ses disciples en particulier.

Au premier degré, le langage des paraboles est simple : Jésus emploie des mots et des images concrètes et familières à la portée de tous. Tous sont invités à s’étonner devant les mystères de la vie, devant ce dynamisme incessant qui fait que les semences germent et grandissent que nous dormions ou que soyons levés, devant ce miracle que d’une semence toute petite puisse germer et grandir une plante sans commune mesure avec elle.
Sur ce plan, les paraboles de ce dimanche sont porteuses d’une théologie de la création. La nature est une école de vie et de sagesse, pour peu qu’on entretienne avec elle une relation constante, aimante et attentive. L’homme moderne, pragmatique et efficace, en arrive un peu à oublier que tout ce qui vit et respire vient de plus loin que lui. Il ne se perçoit plus guère comme faisant partie de la nature, du monde des vivants, soumis aux mêmes lois que les végétaux, les animaux. Il peut arriver à la percevoir et à la traiter comme un objet ou un décor extérieurs à lui, qu’il peut exploiter, transformer et utiliser à sa guise, dans une perspective productiviste de rentabilité. Au risque d’oublier qu’elle est un trésor à lui confié, dont il n’est que gérant éphémère et si elle périt, si elle meurt, il périra lui aussi. Les mirages de toute-puissance, de productivité sans limite peuvent lui appauvrir l’esprit, le conduire à désapprendre la plus élémentaire sagesse et à faire ainsi son propre malheur.
Mais les paraboles de Jésus sont à interpréter à un second degré, sur le plan de la foi. Les disciples de Jésus doivent les accueillir, comme s’il s’agissait en chacune d’un secret que seuls les intimes peuvent comprendre, d’un appel à la conversion du regard et du cœur. Jésus dévoile à ses disciples et leur explique en particulier des choses essentielles qui concernent la connaissance et l’amour de Dieu. Elles ne se transmettent pas forcément en public à force de démonstrations, d’explications mais sous le mode de la confidence. Chacun doit les interpréter et est appelé librement à en saisir le message. Parler de Dieu et de son royaume en paraboles, c’est justement consentir à ce que son règne germe et grandisse dans le secret des cœurs et des consciences, à l’insu des bruits et des fureurs du monde, comme la semence jetée en terre, comme la graine de moutarde.
C’est là une leçon toujours à retenir aussi pour l’Eglise du Christ, parfois trop empressée de proclamer en public tous ses secrets, d’utiliser les moyens modernes tapageurs de la communication pour convaincre, expliquer, prouver et transmettre. Son langage est souvent dogmatique, et elle est peu encline à cultiver l’art de la parabole, à trouver les mots simples et concrets qui peuvent toucher le cœur de chacun et le rejoindre dans sa vie. Les paraboles de ce dimanche trouvent une forte résonance dans notre actualité. Les chrétiens dans le monde se culpabilisent facilement et se désolent de n’être qu’un petit nombre, un petit reste, une modeste semence. Ils s’attachent parfois bien plus à pleurer leur mort qu’à croire que « la plus petite de toutes les semences du monde puisse un jour grandir et dépasser les plantes potagères, étendre ses longues branches si bien que les oiseaux du ciel fassent leur nid à son ombre ».
Quand Jésus parle de graine et de semence, il nous faut comprendre avant tout qu’il est lui-même le semeur des graines du Royaume de Dieu, et en même temps qu'il est aussi la graine semée par le Père dans le monde des hommes. Les longues branches de l’arbre de sa croix ouvrent les portes du Royaume à tous les peuples de la terre. La mission de l’Eglise est de faire signe de lui, d’être semence de paix, de justice et d’amour au milieu de tous les peuples de la terre. Sa mission n’est pas de faire signe d’elle-même, de se préoccuper uniquement de ses problèmes internes, mais d’accorder toute sa confiance à celui qui lui a donné naissance et dont l’Esprit est à l’œuvre de nuit comme de jour. Enfouie en terre, enracinée en plein cœur du monde et de la vie des hommes, l’Eglise fait signe du Royaume de Dieu qu’elle n’est pas. C’est un monde nouveau qui germe et grandit en elle et par elle. Un Royaume sans commune mesure avec ce qu’elle est. Un arbre aux longues branches verdoyantes, destiné un jour à rassembler et abriter tous les oiseaux du ciel, et donc aussi tous les peuples de la terre.
Saint Paul, lui aussi, parle d’un arbre. Le corps humain n’est-il pas semblable à un « arbre qui marche » entouré de ses frères plantés en terre, immobiles et fidèles ? N’est-il pas aussi, situé dans un arbre généalogique ? Mais son histoire est différente.

Frères, nous gardons toujours confiance,
tout en sachant que nous demeurons loin du Seigneur,
tant que nous demeurons dans ce corps ;
en effet, nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision.
Oui, nous avons confiance, et nous voudrions plutôt
quitter la demeure de ce corps pour demeurer près du Seigneur.
Mais de toute manière, que nous demeurions dans ce corps ou en dehors,
notre ambition, c’est de plaire au Seigneur.
Car il nous faudra tous apparaître à découvert
devant le tribunal du Christ,
pour que chacun soit rétribué selon ce qu’il a fait, soit en bien soit en mal,
pendant qu’il était dans son corps.

L’homme sait qu’il est mortel et s’interroge sur son avenir. Quelles saisons de vie nouvelle l’attendent après celles de la terre ? Après les saisons d’exil qu’il traverse, où va-t-il s’implanter ? Il n’en a pas une vision claire et doit se contenter d’en parler en paraboles, en empruntant des images humaines et terrestres. Son corps n’est-il pas semblable à la semence qui doit mourir en terre pour porter du fruit en abondance et vivre dans une vie sans fin « et peut-être toujours en été » ?

Michel SCOUARNEC

Prêtre du Diocèse de Quimper et Léon

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