Mgr Jean-Paul Jaeger : « On ne peut pas transformer Calais en forteresse »

ENTRETIEN - L’évêque d’Arras est sensible depuis plus de quinze ans au sort des migrants qui arrivent à Calais et dans les environs, d’autant que les catholiques sont très engagés, avec d’autres, dans l’aide humanitaire aux populations. Il estime que le pouvoir politique en France et en Europe doit désormais traiter en profondeur les causes du phénomène migratoire.

La Croix : Vous êtes évêque d’Arras, dans le Pas-de-Calais, depuis 1998. Comment avez-vous vu évoluer la situation des migrants à Calais ?

Mgr Jean-Paul Jaeger : À l’époque, on dénombrait environ un millier de personnes vivant à Sangatte. Elles disposaient d’un minimum pour garantir leur sécurité et le respect de leur dignité, même si c’était très loin d’être satisfaisant.

Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, a décidé de fermer ce lieu, considérant qu’il pouvait entraîner un afflux de nouveaux arrivants.

Dans un premier temps, la fermeture du camp de Sangatte a semblé confirmer ce jugement, puisque les migrants étaient moins nombreux à Calais, ou dans les environs. Mais progressivement, des lieux sauvages ont surgi – les « jungles » – et regroupé un certain nombre de personnes dans des conditions d’hygiène peu admissibles.

Il est frappant de noter que cette réalité semblait échapper au regard des autorités, comme si elle n’existait pas. Il a fallu que les associations caritatives luttent pour que les yeux s’ouvrent. Au fil des ans, le nombre des migrants a augmenté au point de dépasser celui de l’époque de Sangatte et d’obliger les hommes politiques à esquisser une réaction.

Comment jugez-vous l’accord signé jeudi dernier entre le ministre de l’intérieur français, Bernard Cazeneuve, et son homologue britannique ?

Mgr J.-P. J. : C’est une petite avancée, qui permettra sans doute d’enrayer certains mécanismes comme celui des passeurs, mais elle est insuffisante : tant qu’on n’aura pas examiné, au plus haut niveau, national et international, la réalité des migrations internationales et ses causes, on ne traitera pas le problème de fond.

On n’empêchera pas des personnes de vouloir quitter leur propre pays pour des raisons économiques, politiques, sociales ; on ne supprimera pas les déplacements entre le sud et le nord, entre les pays pauvres et les pays riches.

C’est à ce problème-là qu’il faut s’affronter. Je ne crois pas que quelques accords – même s’il faut les saluer – résoudront tous les problèmes. On ne peut pas transformer Calais en forteresse.

Comment faire face à l’afflux de migrants dont le nombre peut donner le vertige ?

Mgr J.-P. J. : Les Calaisiens, tout en étant accueillants comme ils le sont, ont le droit de vivre d’une manière normale. Une seule ville ne peut gérer la présence d’une telle population et prendre en charge les soins et la nourriture nécessaires.

Des structures sont indispensables. Il faut absolument que nos gouvernants, en France et en Europe, prennent à bras-le-corps le problème des migrations. Je n’ai pas le sentiment, à ce stade, qu’ils prennent la mesure du problème.

Comment percevez-vous l’implication des chrétiens dans l’accueil des migrants ? A-t-elle évolué en une quinzaine d’années ?

Mgr J.-P. J. : Les chrétiens, à travers des associations, confessionnelles ou non mais aussi de manière anonyme, jouent un rôle considérable. Certains traversent chaque jour le département pour venir apporter de l’aide aux migrants. À Calais, bien sûr, mais aussi dans d’autres lieux moins connus, le long de l’autoroute A 26, ils donnent, sans bruit, leurs bras et leur cœur.

Même si nombre d’entre eux sont usés et épuisés après tant d’années, même si beaucoup ont une vie peu épargnée par les difficultés, ils accomplissent le travail nécessaire et manifestent une présence humaine et chaleureuse.

Les communautés chrétiennes de votre diocèse sont-elles traversées par des tensions autour de l’aide à apporter aux migrants ?

Mgr J.-P. J. : Des tensions, non, des appréciations divergentes sur le phénomène migratoire et sur la manière de l’envisager, certainement. Mais je pense que tous les chrétiens sont capables d’entendre le discours de l’Église sur l’accueil des personnes. Chacun est bien conscient qu’on ne peut les laisser vivre en dessous du seuil minimal de la dignité.

Existe-t-il des limites à l’accueil et à la miséricorde ?

Mgr J.-P. J. : A la miséricorde, non ! Car notre foi repose sur la miséricorde d’un père pour ses enfants, sur celle d’un frère qui a donné sa vie pour nous. Nous avons toujours à faire preuve de miséricorde à l’égard de nos semblables, sachant que les conséquences de cette miséricorde ne peuvent pas être assumées toujours et partout de manière égale.

Il est bien clair que la France ne peut accueillir toutes les misères du monde. Mais la miséricorde peut aussi nous aider à mobiliser les énergies pour affronter ensemble les grands problèmes de notre société.

Par vocation, les chrétiens doivent donner des signes concrets et audacieux de cette miséricorde et montrer qu’il ne faut pas se contenter de belles paroles ou de petites mesures...

Recueilli par Bruno BOUVET

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