Eloge du Pape François

Je n’en reviens pas. Abonné à la Croix depuis longtemps, je ne me souviens pas avoir lu au cours de ces dix dernières années, un début de témoignage favorable à Mgr Gaillot… Et voilà que par la grâce du courageux pape François, ce mardi 1er septembre 2015, deux jeunes journalistes osent deux articles remarquables. Comment remercier Anne-Bénédicte Hoffner et Sébastien Maillard ? La clarté de leur récit, l’empathie qu’ils ne dissimulent pas pour celui qui n’a pas démissionné d’Evreux et se trouve toujours à la tête du diocèse de Partenia, vingt ans après son injuste destitution de janvier 1995, me touchent infiniment.

C’est beau de dire qu’un homme d’Eglise blessé à l’intérieur aura été heureux d’être reçu par François comme un frère. Il faut ajouter que tous les relégués aux périphéries visitées par Jacques depuis qu’il est évêque vont partager cette joie de la fraternité retrouvée. Ouf ! Enfin ! Voilà donc un pape, François évêque de Rome, qui prend les hommes pour ce qu’ils sont, des êtres libres, responsables de leurs actes et de leurs paroles, surtout lorsqu’ils sont en charge de l’Evangile. Un pape qui ne convoque pas pour juger, mettre en quarantaine, exclure mais qui désire écouter, chercher avec ses frères la meilleure voie, celle de la miséricorde qui s’appuie sur la justice, celle du dialogue avec l’Autre. Un pape qui ne se prend pas pour la science infuse, qui ne revendique pas à lui seul la vérité mais qui partage son amitié en invitant à venir le voir, et à parler pour que la réalité soudain apparaisse plus claire, grâce à la pluralité si nécessaire des points de vue.

Je lis les noms de ceux qui ont été conviés à Sainte-Marthe : Robert Bezak, Gustavo Gutterriez, Timothy Radcliffe, Jacques Gaillot… et je dis que cela commence à ressembler à l’Evangile, à la liberté du Christ d’écouter ses amis et de sauver tous ceux qui en ont besoin, parce qu’ils sont marginalisés à cause de leurs engagements au service des plus démunis. Dans La Joie de l’Evangile, Evangelii Gaudium, à deux reprises au moins, François, supplie les chrétiens de quitter leur tête d’enterrement. Quelle bonne idée à lui de nous y aider à la fois par ses discours et par ses actes. Un historien comme Pierre Pierrard (cf. son livre du 15 février 2002 Jacques GAILLOT Desclée de Brouwer) qui a longtemps travaillé à LA CROIX, a expliqué comment Jacques Gaillot a été tout au long de son épiscopat à Evreux non seulement un pasteur bienveillant pour le peuple de son diocèse, mais un passeur, un passeur de murailles, pour la joie de tous ceux qui attendaient une lumière au cœur d’une situation personnelle ou collective de détresse.

L’incroyable de cette affaire Gaillot est qu’elle ait duré vingt ans ! L’incapacité de l’Institution à reconnaître ses erreurs ou ses approximations, sa volonté de cacher ses misères historiques ou plus psychologiques (qu’on songe par exemple à Jean-Paul II se faisant manipuler par le prêtre pervers Martial Maciel, ou aux tergiversations, aux aveuglements de nombreux clercs sur la pédophilie de 5 % du clergé…c’est peu mais c’est trop !), sa résolution pernicieuse de maintenir les hommes mariés et les femmes à l’écart du sacerdoce, son génie désopilant à mettre au placard ou à enterrer ses plus beaux modèles, toutes ces intransigeances inquiètent. On pourrait pour le moins s’interroger, dialoguer : en quoi l’Evangile serait-il moins bien diffusé, si des couples mariés le prenaient en charge jusque dans ses dimensions sacramentelles ? Lever le célibat des prêtres comme obligation disciplinaire, redonnerait évidemment toute sa force à l’engagement de chasteté, et des couples et des célibataires désireux de donner toute leur vie au Christ Jésus … L’Eglise en débat, disait le cardinal Coffy en 1995, mais c’était pour faire la leçon, mettre un terme à la discussion, justifier l’injuste mesure qui avaient scandalisé à Evreux, en France, dans le monde des milliers de gens, calmer le jeu « des syndicats de laïcs » comme disait un autre cardinal, mieux inspiré sur la question juive…heureusement pour nous. Anne Soupa a écrit un beau livre : François, la divine surprise. (Médiaspaul 2014) Dans son sous titre, elle pose une question : Ce pape va-t-il convertir l’Eglise ? Ce soir, j’ai envie de répondre, peut-être, s’il en a le temps, si nous l’aidons, si nous prions pour lui, si ensemble nous luttons contre toutes les certitudes violentes, dogmatiques, amnésiques du déjà dit, du déjà fait, du prêt à penser de l’Institution. Ce sont ces certitudes qui vident l’Eglise de la fécondité, de la créativité venue du Seigneur. Par sa parole, chaque être humain est invité à inventer ce qui n’a pas encore été dit ni vécu, au-delà du verset, comme dit Emmanuel Levinas. Ce serait bien que comme leurs frères juifs, les chrétiens se souviennent désormais du futur.

Jacques GOUGEON

Professeur retraité de l’enseignement public A Evreux (1976-2011)

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