Migrants : Aux actes paroissiens !
09 sept. 2015Alors que le monde entier prend la mesure du drame vécu par les migrants, l’exhortation du pape retentit comme un coup de tonnerre. Les paroisses se mobilisent. Certaines ont même devancé l’appel. Et des membres du clergé montent au créneau.
Dimanche 6 septembre, en exhortant toutes les paroisses et communautés religieuses à accueillir des réfugiés, le pape François a rejoint l’histoire. Une première depuis la Seconde Guerre mondiale, où des juifs avaient été accueillis à Rome à la demande de Pie XII. Quel sera l’impact ? Le magistère moral que le souverain pontife exerce actuellement saura-t-il changer une opinion publique européenne qui reste majoritairement rétive à l’accueil, contrairement à l’Allemagne ?
Reste qu’après le temps de l’émotion viendra vite celui de l’organisation. Lors de sa conférence de presse de rentrée, le président de la République a ainsi annoncé que la France accueillerait 24 000 migrants d’ici à deux ans. Ce qui ne s’improvise pas. Pour cela, le ministère de l’Intérieur réunissait mardi 8 et samedi 12 septembre les représentants du culte et les élus volontaires en présence de responsables de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et du ministère du Logement. Il s’agissait de répondre aux questions pratiques, financières et politiques. Le débat ne fait que commencer.
Des projets de longue haleine
En attendant, pour les catholiques, l’heure de la mobilisation a sonné. Il n’y aura sans doute ni sacs de couchage dans les églises, ni réfugiés errant autour des salles paroissiales. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne se passera rien. Tous les fidèles ont entendu l’appel venu de Rome pour que chacun fasse preuve d’hospitalité : « Je souhaite que chaque paroisse, chaque communauté religieuse, chaque monastère, chaque sanctuaire d’Europe accueille une famille réfugiée. » Pour le moins inhabituelle, cette exhortation, prononcée dimanche 6 septembre lors de la prière de l’Angélus, a fait l’effet d’une bombe, révélant l’urgence de la situation et la volonté du pape de secouer les consciences.
À Hem, dans le Nord, les paroissiens de Saint-Paul n’ont pas attendu l’invitation papale pour agir. L’ancien presbytère vient de faire l’objet d’importants travaux pour héberger une famille rom, qui campait jusque-là dans les jardins paroissiaux, et accueillir début octobre une famille irakienne de Qaraqosh, tout juste débarquée en France. « Une trentaine de paroissiens sont engagés dans ce projet que nous portons depuis longtemps et que nous avons appelé Béguinage de la fraternité », explique fièrement le curé, Michel Clincke. Alphabétisation des parents, scolarisation des enfants, démarches administratives, hygiène et santé, chacun a son rôle à jouer !
C’est aussi le cas à Gaillon, dans l’Eure, où des couples, jeunes ou retraités, hébergent depuis des années des familles congolaises ou arméniennes. « La présence de prêtres étrangers dans les équipes pastorales a contribué à élargir le regard des paroissiens, confie Nicolas le Bas, le curé. Mais il peut y avoir parfois des résistances… »
Changer notre regard
Face aux critiques, les évêques ne mâchent pas leurs mots. « Le pape François nous invite à changer notre regard et notre discours sur les migrants. Il nous faut cesser de considérer ces personnes comme des agresseurs dont on doit avoir peur », affirment-ils dans une déclaration publiée au lendemain du discours papal. Dans un communiqué diffusé quelques jours plus tôt, l’évêque de Gap et d’Embrun, Jean-Michel Di Falco, avait expliqué avoir « honte » de son pays, « qui à plus de 50 % de sa population refuse l’accueil des exilés. Honte de certains politiques qui tiennent des propos inqualifiables lorsqu’ils parlent de “ces gens-là !”, comme ils les désignent avec mépris. Honte des chrétiens prompts à descendre dans la rue pour d’autres causes, mais qui semblent ignorer cette tragédie. Mais qu’est donc devenue la Manif pour tous ? Si elle est pour tous, elle est aussi pour les migrants ! »
Dans une lettre envoyée une semaine plus tôt aux prêtres de la capitale, le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, avait tenu, lui aussi, des propos très vigoureux : « Même si chacun de nous n’a pas les moyens d’aider concrètement les réfugiés, nous pouvons au moins ne pas nous joindre à des messages de terreur et de rejet qui désignent ces malheureux comme un danger pour notre société et un péril pour notre civilisation. Que serait notre civilisation si elle renonçait à assumer la dimension universelle de la dignité humaine ? Que serait l’héritage du christianisme s’il se fermait devant le pauvre à sa porte ? (…) Tout le monde ne peut pas faire des choses extraordinaires, mais tout le monde peut faire quelque chose. »
Fort de cette conviction, Benoît de Sinety, curé de Saint-Germain-des-Prés, dans le VIe arrondissement de Paris, a bien l’intention d’inscrire cet appel, qu’il juge « tout à fait enthousiasmant », à l’ordre du jour de son prochain conseil pastoral. « Beaucoup de familles se disent prêtes à accueillir des réfugiés, mais se pose la question de l’accompagnement dans la durée. Il ne suffit pas d’ouvrir sa porte, il faut aussi pouvoir assurer les moyens d’une véritable intégration. Il est impossible d’improviser. Nous espérons que le diocèse nous donnera toutes les consignes nécessaires. »
Des formes de solidarité plus liturgiques
À Vernon, dans l’Eure, on veut aussi rester prudent. « L’intention est belle, mais l’Église catholique peut difficilement agir sans le soutien des autorités civiles », rappelle Denis Chautard, prêtre de la Mission de France, lui-même engagé depuis des années auprès des migrants. « Inscrit comme une obligation dans le préambule de notre Constitution, l’accueil des réfugiés est d’abord de la responsabilité de l’État. Les citoyens que nous sommes peuvent évidemment apporter leur concours, mais cela ne peut se faire qu’en concertation avec les associations agréées et les collectivités locales. »
Pour certaines paroisses, la solidarité peut aussi prendre des formes plus liturgiques. À Halluin, dans le Nord, il a déjà été décidé que la messe de l’épiphanie serait animée par les demandeurs d’asile présents dans le secteur. À Naintré, dans la Vienne, le célébrant a lu dimanche dernier une oraison tirée du lectionnaire, spécialement dédiée aux exilés et aux réfugiés : « Seigneur, aucun homme n’est pour toi étranger et nul n’est si loin que tu ne puisses le secourir : n’oublie pas les réfugiés, les exilés, les enfants séparés de leur famille. Que prennent fin leurs souffrances, et donne-nous, pour accueillir ceux que le monde rejette, l’amour et le respect que tu leur portes. »
« Je ne savais pas encore que le pape s’exprimerait sur ce sujet, mais je trouvais important d’ouvrir notre prière à ces personnes qui souffrent, commente le curé, Louis de Villoutreys. Nous sommes dans une région où les migrants sont peu nombreux et où les gens ne se sentent pas forcément concernés. Mais beaucoup sont prêts à faire preuve de générosité. »
L’exemple du haut
Lors de son appel urbi et orbi, dimanche, le pape a précisé qu’il commencerait par mobiliser son diocèse de Rome et que les deux paroisses du Vatican elles-mêmes accueilleraient, dans les prochains jours, deux familles de réfugiés. L’exemple vient de haut.
> Des associations à contacter :
Porté par l'association Singa, le dispositif Calm (Comme à la maison) met en relation des réfugiés mal logés ou sans domicile fixe avec des particuliers contact@singa.fr
Le Service jésuite des réfugiés (JRS) propose l'hospitalité d'un demandeur d'asile pendant une courte durée. Tél. : 01 44 39 48 10 ou www.jrsfrance.org
L'oeuvre d'Orient est à la disposition des paroisses et des familles qui souhaitent répondre positivement à l'appel du pape. Tél. : 01 45 48 54 46 ou contact@oeuvre-orient.fr
Laurent Grzybowski, avec Pascale Tournier