En Italie, des migrants déboussolés aident de vieux Siciliens
12 oct. 2015Tromper l'ennui, de part et d'autre: une fois par semaine, des demandeurs d'asile désœuvrés dans l'immense centre de Mineo, en Sicile, vont rendre visite à des personnes âgées isolées, dans des maisons de retraite de la ville voisine de Catane.
L'initiative est organisée par la communauté de Sant'Egidio, qui rassemble des laïcs et des religieux engagés dans la médiation en zones de conflits et dans l'action caritative.
Une fois par semaine, Sant'Egidio propose une prière dans la petite chapelle du centre de Mineo, une ancienne base militaire aux allures de banlieue américaine accueillant aujourd'hui quelque 2.500 demandeurs d'asile perdus au milieu des champs d'orangers.
Depuis deux ans, ils sont invités par groupes de 4 ou 5 à participer aux activités sociales de la communauté, qui part du principe que personne n'est jamais démuni au point de ne pouvoir rendre service à quelqu'un d'autre.
Ce mardi, Enok, pasteur nigérian de 35 ans, et Mamadou, chauffeur routier gambien de 28 ans, échoués tous deux à Mineo depuis plus d'un an, accompagnent des bénévoles dans un grand appartement du centre de Catane aménagé en foyer pour une douzaine de personnes âgées.
Elles sont presque toutes dans la salle commune, bercées par le son de la télévision que personne ne regarde.
"Elena, je te présente Enok, c'est un pasteur du Nigeria, il est allé en Libye pour aider là-bas puis il a dû partir et il est arrivé ici", crie Piero Giglio, un responsable de Sant'Egidio.
Frêle silhouette perdue sur le canapé, Elena sourit, prend la main d'Enok et commence à évoquer ses propres voyages - Hong Kong, Singapour... - ainsi que tous ces Siciliens qu'elle a vu s'embarquer pour l'Amérique après la Seconde Guerre mondiale.
En face, Fina, 95 ans, interpelle qui veut bien l'entendre en demandant comme chaque semaine qu'on lui envoie des vêtements parce qu'elle n'a plus rien à se mettre.
Un peu plus loin, Giuseppe semble très étonné d'apprendre que Mamadou, grand gaillard musclé aux courtes dreadlocks qui ne lâche jamais son téléphone portable, est encore célibataire. "Il y a pourtant de jolies filles en Sicile..."
- 'Les heures qui ne passent pas' -
"C'est bien de rencontrer du monde. Nous sommes tous un, ils ne font pas de différence, ils nous traitent bien, ils sont heureux de nous voir", se réjouit Mamadou, alors que la présence de milliers de migrants désœuvrés à Mineo suscite habituellement l'hostilité des riverains.
Enok renchérit: "Chacun d'entre eux n'a vu que des Blancs, des Blancs, des Blancs tous les jours. Et maintenant ils voient des Noirs, ils m'embrassent... Ce qui compte c'est l'amour." "Avec nous, les Italiens font preuve d'amour, de solidarité, de paix. Ils nous montrent que nous sommes des êtres humains comme eux", ajoute-t-il en assurant qu'il serait "probablement un homme mort" s'il n'avait pas été accueilli.
Pour Piero Giglio, ces anciens Siciliens et ces jeunes migrants que Sant'Egidio appelle "nouveaux Européens" ont beaucoup en commun.
Les personnes âgées "disent qu'elles ne sont pas heureuses d'avoir dû laisser leur maison, leurs affaires, pour vivre dans cet endroit qui n'est pas chez eux. Elles racontent les heures qui ne passent pas", explique-t-il.
"C'est un peu la vie à Mineo", où l'oisiveté est telle que des jeunes lui ont raconté dormir 14 à 16 heures par jour. "Ils attendent des mois et parfois des années sans rien faire. Pour eux aussi, il s'agit de retrouver du sens."
Après la visite aux personnes âgées, Enok et Mamadou rejoignent deux autres compères partis dans une autre maison de retraite dans les locaux de Sant'Egidio pour préparer des sandwiches pour les personnes sans domicile près de la gare.
Au total, ils sont une cinquantaine de migrants à se relayer pour participer à ces activités, en s'arrangeant pour que chacun puisse venir au moins une fois par mois.
Après une courte prière avec les membres de Sant'Egidio dans l'église voisine où un autel est consacré aux migrants, ils passeront la nuit dans les locaux de Sant'Egidio, avant de reprendre le bus dans la matinée pour une attente interminable à Mineo.
AFP