Point de vue de Jean-François Bouthors

On s’est, à juste titre, indigné contre les propos de Nadine Morano définissant la France comme « un pays de race blanche ». Son propos présentait aussi le judéo-christianisme comme une caractéristique française. Il est désormais récurrent d’invoquer les racines chrétiennes ou judéo-chrétiennes de la France pour en faire un argument politique.

C’est pour le moins surprenant dans un pays qui est sans nul doute le plus sécularisé d’Europe, où la pratique religieuse est le fait d’une infime minorité – moins de 4 % des Français vont à la messe régulièrement – et où la culture religieuse est chez la plupart des citoyens quasi nulle.

Quant à invoquer la mémoire, le patrimoine chrétien, c’est une affaire tout aussi problématique : à quel christianisme se réfère-t-on ? Au cours de l’histoire, il a présenté des visages différents et contradictoires.

Pense-t-on au christianisme des Croisés qui massacrent les musulmans à Jérusalem, à celui qui conduit au sac de Béziers – « Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! », ou à la liberté débridée de Rabelais, à l’humanisme d’Érasme, à la charité de Vincent de Paul, à la finesse de Pascal ? Se réfère-t-on à la religion des antidreyfusards ou à celle de Péguy ? S’inspire-t-on de la colère de Bernanos contre les évêques franquistes pendant la guerre d’Espagne, ou du « Gott mit uns » inscrit sur le ceinturon des gardes de camps nazis ?

Le christianisme n’existe pas comme un monolithe. Il est un débat permanent et houleux. Il n’appartient à personne, et comme un fleuve, il déborde constamment de son lit. Il lui arrive d’emprunter des voies nouvelles, de se frayer des chemins inattendus, et même de se fourvoyer.

Un peu de théologie suffit à renverser l’utilisation du christianisme comme un argument politique identitaire. Personne ne naît chrétien. La foi ne se transmet ni par le sang, ni par le sol. Être chrétien, c’est un choix personnel. Quoi qu’en dise la légende, le baptême de Clovis n’est pas le baptême de tous les Français.

Si Jean Paul II s’est opposé, avec raison, à l’annexion du christianisme par le marxisme dans certaines formes de la théologie de la Libération, c’est avec tout autant de vigueur qu’il faut dénoncer, aujourd’hui, la tentative d’enrôler le christianisme dans des combats politiques identitaires et nationalistes.

On aimerait que les évêques français dénoncent ceux qui jouent avec ce genre d’allumettes, qui mettent le feu aux passions collectives.

C’est avec stupeur et horreur qu’on a entendu ces dernières semaines des maires annoncer qu’ils n’accueilleraient que des réfugiés « chrétiens ». Depuis quand demande-t-on un certificat de baptême à celui dont on se fait le prochain ? À tous ceux qui manient ce genre d’argument, on recommande qu’ils se mettent d’urgence à lire les évangiles. Ils y apprendront que les chrétiens ne mangent pas de ce pain-là.

Qu’on se le dise : le christianisme n’appartient à personne, et surtout pas aux hommes politiques qui pensent draguer les électeurs en invoquant une religion dont ils piétinent l’enseignement.

Par Jean-François Bouthors. Éditeur et écrivain (1)

Ouest-France du 5 octobre 2015

(1) publie, ces jours-ci, un Petit Éloge du catholicisme français, aux Éditions François Bourin.

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