Synode : l'intervention inhabituelle du Pape
07 oct. 2015Le pape François, au deuxième jour du synode romain sur la famille, a dû exceptionnellement intervenir pour recadrer le débat. Certains évêques en effet, lundi soir et mardi matin, avaient fait part, en assemblée, de leurs questions, voire de leurs doutes, sur deux aspects.
Le premier touchait le changement de règlement du synode. François a décidé, en septembre dernier, de limiter les grandes assemblées plénières au profit d'un travail en petits groupes. Et, seconde inquiétude, à propos de ces nouvelles règles: la nomination par le Pape d'une commission spéciale d'une dizaine de personnes, déjà au travail pour rédiger, en parallèle, le document de synthèse finale du synode alors que le débat des 360 évêques et experts du synode, lui, ne fait que commencer, et pour trois semaines. Certains se demandent donc pourquoi être là s'ils ne maîtrisent pas la synthèse finale.
Le second point de préoccupation touchait la question des divorcés remariés. Lundi, lors de la séance d'ouverture, le rapporteur général du synode, le cardinal Erdo, a opposé une fin de non-recevoir à toute évolution pastorale sur le sujet. Mais le secrétaire spécial du synode, Mgr Bruno Forte, et surtout le cardinal Marx, archevêque de Munich et président de la conférence des évêques, ont mis en cause cette fermeture: «Nous ne pouvons pas marcher en arrière, il faut avancer», a insisté ce dernier en rappelant que, de toute façon, «le Pape tirera à la fin de ce qu'il estimera être juste pour son pontificat». Là aussi, la tendance progressiste du synode doutait de l'intérêt d'une seconde session après celle d'octobre 2014, si c'était pour maintenir un statu quo sur la question des divorcés remariés.
Les groupes de travail seront pris en compte, assure le Pape
Pour mettre fin à cette confusion, le pape François a donc pris la parole une seconde fois en deux jours pour clarifier les choses, sur le fond et sur la forme. Par principe et pour laisser la parole aux évêques, jamais un Pape n'intervient dans les débats d'un synode. Il se contente d'introduire et de conclure les débats. Benoît XVI l'avait fait une fois pour éclaircir un obscur point théologique mais non pour calmer une polémique.
Selon le porte-parole du Vatican, le Père Lombardi, le Pape a donc assuré et «rassuré» selon un témoin l'assemblée en affirmant que «la doctrine catholique sur le mariage n'a pas été touchée, elle conserve sa validité». Mais le Pape a aussi demandé que les Pères synodaux «ne se laissent pas conditionner en réduisant l'horizon du synode comme si son unique problème était celui des divorcés remariés». Enfin le Pape a garanti que les interventions des participants dans les petits groupes de travail qui se réunissent à partir de mercredi, jugées par lui «très importantes», seront bien prises en compte dans le document final.
Claire intention réformatrice
Mardi matin, avant de se rendre dans la salle du synode, le Pape avait toutefois donné une nouvelle indication de sa claire intention réformatrice et de l'esprit dans lequel il voudrait que le synode travaille. Dans son homélie, lors de la messe à la maison Sainte-Marthe, il a médité sur les récits racontant les mésaventures de Job, François dénonçant alors «la dureté du cœur qui ne laisse pas entrer la miséricorde» de certains membres du clergé qui estiment que «mes pensées, mes prédications, la liste des commandements que je dois observer, tout cela, est plus important que la miséricorde de Dieu».
Ce «drame» a dit le Pape, «Jésus l'a vécu aussi avec les docteurs de la loi qui ne comprenaient pourquoi il ne laissait pas lapider la femme adultère, pourquoi il allait manger avec les publicains et les pécheurs: ils ne comprenaient pas! Ils ne comprenaient pas la miséricorde!» Citant une nouvelle fois Saint Ambroise, le pape a alors lancé: «Là où les ministres du Christ sont, il y a rigidité, là où il y a le Seigneur, il y a miséricorde».
Échange très vif entre deux cardinaux
Au total, il semble que cette mise au point papale a été notamment motivée par un échange très vif et contradictoire, lundi soir, entre deux très importants cardinaux, l'un appuyant de toute sa force la réforme en faveur des divorcés remariés, l'autre, la récusant de tout son poids. Car ce débat, bien qu'il ne représente pas l'intégralité du synode, est bien central dans les esprits car il touche une évolution fondamentale pour l'Église, directement à l'esprit du Concile Vatican II. La question posée n'étant pas de modifier, effectivement, la doctrine de «l'indissolubilité» du mariage - il y a unanimité sur ce point - mais de voir comment elle peut être «adaptée» pour des «raisons pastorales» aux différentes situations concrètes. «Nous devons être concrets» a plaidé le cardinal Marx.
Et c'est ainsi que l'évêque d'Anvers, Mgr Johan Bonny - connu pour ses positions ouvertes sur le mariage gay - a proposé que «le synode reconnaisse aux évêques locaux la responsabilité de formuler des réponses adéquates aux questions pastorales». Un autre ayant même avancé l'idée que des commissions d'études soient lancées «par continent» ou par «grandes régions culturelles» dès la fin du synode, de façon à réfléchir et mettre en place une décentralisation géographique et culturelle de la pratique pastorale catholique sur la question des divorcés remariés. L'un des chargés de communication pour le monde anglophone, le Père Rosica, ayant de fait, affirmé mardi: «Il sera difficile de trouver une solution universelle». Cette idée aurait l'avantage d'éviter une guerre de positions au sein du synode en repoussant la question qui fâche dans l'espace et dans le temps mais elle ouvrirait une première historique de décentralisation touchant la doctrine, et donc de divisions potentielles, dans l'Église catholique.
Jean-Marie GUENOIS