"Geo Boulloud, le métallo de Dubedout", une biographie signée Pierre Frappat

« La disparition de Georges Boulloud en août 2013, à l’âge de 82 ans, passa presque inaperçue à Grenoble. Sauf des quelques centaines de militants — vieux militants — qui, au cœur de l’été, se retrouvèrent autour de sa dépouille au centre œcuménique Saint-Marc. Pour eux, il ne faisait pas de doute qu’une page de l’histoire de Grenoble se tournait avec la fin du parcours d’un homme exceptionnel. Excep­tionnel, car il avait été mêlé à de nombreux épisodes de l’histoire de cette ville, mais surtout parce qu’il représentait un type d’homme qui ne se rencontre plus guère : militant, ouvrier, chrétien.

Il y eut à Grenoble, des années 1940 aux années 1990, bien d’autres belles figures de militants ouvriers. Chrétiens ou non. Beaucoup croisèrent d’ailleurs le parcours de Geo Boulloud et plusieurs sont évoqués dans ce livre. Ces militants eurent leur part dans la construction de la réputation d’une ville que l’on a érigée en mythe. Mais le récit grenoblois, s’il fait la part belle, à juste titre, aux Paul-Louis Merlin, Louis Néel, Louis Weil, Hubert Dubedout et quelques autres, ne dit généralement pas grand-chose de ces militants ouvriers qui, pour certains d’entre eux, furent aussi des initiateurs du Grenoble contemporain. » (pages 15 et 16)

J’ai connu Georges et Suzon rue parmentier à Grenoble lorsque j’ai emménagé durant l’été 1976 chez Marius et Marcelle (les parents de Geo). J’ai quitté la « rue patate » le 2 janvier 1985 lorsque j’ai été appelé par la Mission de France à Paris pour le « Service Jeunes ».

Durant ces 8 années et demie j’ai lié des liens d’amitié très forts avec toute la famille et en particulier avec Marcelle et Marius dont j’ai présidé les funérailles en l’église Saint Bruno.

Avec Jean et Philippe, deux autres prêtres au travail, nous avons fait de cet appartement du rez-de-chaussée de la maison « Boulloud » un lieu de rencontres, de partage fraternel et de prière pour de nombreuses personnes « en recherche » de foi.

Voici le récit qu’en fait Pierre FRAPPAT dans son livre :

« Chez Boulloud

« La maison des Boulloud, rue Parmentier, était connue dans le quartier Saint-Bruno. Dans les années 1970 à 1990, sa réputation s’étendit même au-delà quand elle accueillit des prêtres de la Mission de France. Des centaines de Grenoblois la fréquentèrent, se donnant rendez-vous, surtout le mercredi soir, chez Boulloud, rue « Patate », comme se plaisaient à dire les familiers de la rue... Parmentier. » (page 30)

« ….Quand deux prêtres ouvriers de la Mission de France s’installèrent dans une partie de la maison, plusieurs années après le départ des quatre enfants de Marcelle et de Marius, celui-ci n’eut guère son mot à dire et il prit son parti de ce voisinage avec des curés. Pendant les dix-sept années de leur quasi-cohabitation, le mercredi soir, jamais il ne par­ticipa à ces « fractions du pain », selon l’expression utilisée par les célébrants, qui attiraient du monde rue « Patate». Il guettait la fin de l’office et, rituellement, rejoignait alors l’assistance pour participer aux discussions et trinquer avec tous. Dans l’assistance, il y avait toujours sa femme, Marcelle, et de temps en temps son fils, Geo, avec Suzon, son épouse…. » (page 37)

Ce qui était le « moteur » de la vie de Geo et Suzon c’était leur foi en Jésus-Christ, frère des pauvres et libérateur.

Voici ce qu’en écrit Pierre FRAPPAT dans les toutes dernières pages du livre (280-282) :

« Le dimanche qui suivit le décès de Georges Boulloud le 8 août 2013, le curé de Saint-Marc l’annonça à ses parois­siens, au début de la messe, en ces termes : « Notre prophète est mort».

Dans les papiers personnels de Geo, une petite feuille de papier avec, griffonné par lui au crayon, ces mots inspirés de l’Évangile de Luc : « Si les hommes se taisent les pierres crieront». Tout au long de sa vie, Geo n’a pas laissé aux pierres le soin de dire ce qu’il avait à dire, de sa voix forte.

Un paroissien qui a découvert Georges Boulloud au début des années 1990 se souvient :

« Si ma mémoire ne me trahit pas, je crois bien que je n’ai pas d’abord vu Geo mais je l’ai entendu. C’était une nuit de Noël comme celle que nous célébrons chaque année dans l’Es- pace 600 de l’Arlequin où se retrouvent les chrétiens de la Villeneuve et du Village olympique. J’entendis une voix de stentor qui emplissait toute la salle avec les paroles du prophète Isaïe : “Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière. Le joug qui pesait sur lui, le bâton à son épaule, le gourdin de son chef de corvée, tu les as brisés [...] un enfant nous est né, un fils nous a été donné... On proclame son nom : Prince de la Paix”. Pour sûr, me suis-je dit, cet homme il croit en ce qu’il dit. »

C’est ce même paroissien qui se souvient d’avoir entendu Georges Boulloud apostropher l’évêque de Grenoble, Mgr Louis Dufaux en janvier 1995, place des Tilleuls, devant l’évêché, là même où 33 ans plus tôt il avait pris à partie l’évêque Fougerat. Cette fois, il s’agissait d’une manifesta­tion de plusieurs centaines de catholiques grenoblois qui étaient venus protester contre la mise à l’écart par Rome de Mgr Jacques Gaillot, cet évêque d’Évreux qui avait épousé la cause de ceux que le pape François qualifie aujourd’hui d’hommes des périphéries. La voix de Geo s’éleva au-dessus de la foule pour reprocher à l’évêque le manque de solidarité de l’épiscopat français à l’égard de leur confrère sanctionné.

Envoyé par Internet, comme une voix qui prêche dans le désert, comme on lance une bouteille à la mer, un de ses der­niers messages témoigne encore de ses convictions. Ce texte était titré La société humaine et l’argent. Après de longs déve­loppements fustigeant un libéralisme triomphant débridé, et après avoir appelé à « absolument changer de logiciel, car nous allons collectivement dans le mur», il terminait ainsi :

« Notre foi en Jésus le Christ doit être un élément moteur de cette démarche de transformation économique et sociale que nous recherchons tous.

L’ensemble des chrétiens doivent proclamer le contenu de l’Evangile qui est: “Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire; j’étais un étranger et vous m’avez recueilli ; nu, et vous m’avez vêtu ; malade, et vous m’avez visité ; en prison, et vous êtes venus à moi”. Alors les justes répondront : “Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te donner à boire ? Quand nous est-il arrivé de te voir étranger et de te recueillir, nu et de te vêtir ? Quand nous est-il arrivé de te voir malade ou en prison et de venir à toi ?” Et le Roi répondra : “En vérité je vous le déclare, chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait” (Matthieu 25, 35-40).

Avec des paroles de cette nature, chaque chrétien ressent la joie des enfants de Dieu au fond de son cœur.

Nous les chrétiens nous sommes les serviteurs de Jésus Christ et les serviteurs de nos frères.

Aimer et servir Jésus et aimer et servir nos frères c’est la même chose.

Tous les chrétiens se mettront en tenue de service pour être à la disposition de leurs frères par amour! [...]

En toutes amitiés.

Georges Boulloud»

«En tenue de service». Décidément, cette expression, empruntée à l’Evangile de Luc, lui fut chère. Découverte avec le père Ganne, au tournant de ses 20 ans, mais déjà au cœur de l’engagement à la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) du jeune apprenti de Neyrpic qui habitait le quartier ouvrier Berriat-Saint-Bruno, elle a inspiré sa vie de militant à Grenoble, comme elle inspira la vie de son épouse. Tous les deux ensemble, Geo et Suzon, jusqu’au bout, «en tenue de service».

Geo BOULLOUD, le métallo de DUBEDOUT de Pierre FRAPPAT

Presses Universitaires de Grenoble Novembre 2015 18 €

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Marius surpris en "flagrant délit" : Il venait déposer un bouquet de fleurs sur la table de la rencontre du mercredi soir

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Marius et Marcelle

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