Homélie du dimanche 15 novembre 2015
12 nov. 2015Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 13,24-32.
En ces jours-là, après une pareille détresse, le soleil s’obscurcira et la lune ne donnera plus sa clarté ;
les étoiles tomberont du ciel, et les puissances célestes seront ébranlées.
Alors on verra le Fils de l’homme venir dans les nuées avec grande puissance et avec gloire.
Il enverra les anges pour rassembler les élus des quatre coins du monde, depuis l’extrémité de la terre jusqu’à l’extrémité du ciel.
Laissez-vous instruire par la comparaison du figuier : dès que ses branches deviennent tendres et que sortent les feuilles, vous savez que l’été est proche.
De même, vous aussi, lorsque vous verrez arriver cela, sachez que le Fils de l’homme est proche, à votre porte.
Amen, je vous le dis : cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive.
Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas.
Quant à ce jour et à cette heure-là, nul ne les connaît, pas même les anges dans le ciel, pas même le Fils, mais seulement le Père.
Homélie
“Le soleil s’obscurcira et la lune ne donnera plus sa clarté ; les étoiles tomberont du ciel…” C’est un langage apocalyptique. On flaire du sensationnel et on aime bien. Notre monde hyper technique s’intéresse à l’irrationnel autant que les Pygmées d’Afrique Centrale. Et certains chrétiens ne sont pas les derniers quand s’annoncent des phénomènes étranges dans une église. C’est sûrement parce que l’homme est très marqué par l’angoisse de sa condition mortelle : naître, vivre, mourir.
Le merveilleux fait recette sans doute parce que le quotidien est trop banal. Et puis on confond assez facilement l’incroyable et l’événement, le fantastique et le surnaturel. Mais pourquoi donc ce qui arrive à la lune aurait-il plus d’importance que ce qui arrive à l’homme ? Laissons de côté ceux qui abusent de la crédulité des gens. Pas question non plus de justifier toute forme de croyance sous prétexte que ce serait mieux que l’incroyance. Mais les textes de ce dimanche ont des images si fortes qu’il ne faut pas les regarder de l’extérieur. Il faut essayer de les comprendre de l’intérieur.
“Ces textes bibliques sont-ils des prédictions”, titrait une revue du Secours catholique ?
• Oui, si l’on entend par là qu’ils montrent une direction, qu’ils révèlent des choses qui nous poussent vers l’avenir. Les prophètes pré-disent (disent avant) ce qui va se passer parce que leur regard est plus aiguisé. Le marin tahitien distingue un passage pour sa pirogue, entre les récifs. L’éclaireur indien, oreille contre terre, pressent l’approche du bison. L’ébéniste perçoit sous ses doigts l’infime dérapage du rabot. Le non initié, lui, ne voit rien, ne sent rien, n’entend rien.
• Mais rien à voir dans tout ça avec la divination. Prendre la Bible au mot à mot serait aussi absurde que lire les fables de La Fontaine comme un traité de zoologie. Et ce serait grave parce que les livres bibliques sont les fruits d’une époque et d’une terre où le langage symbolique avait toute sa force vitale. Dire que ces récits sont symboliques, ce n’est pas les mépriser. C’est au contraire leur reconnaître le rôle que Dieu leur assigne : être des lieux de rencontre entre l’homme et lui. Une lecture littérale est une lecture païenne. Confondre l’Évangile avec l’horoscope n’a pas de sens. Comme dit le proverbe un peut cru : “le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt.”
• Laissons-nous donc inciter à regarder au-delà de l’apparente évidence des mots. Quelle vraie demande se cache par exemple sous une phrase comme celle-ci : « Je m’appelle Marcel, je sors de prison, vous n’auriez pas une petite pièce ? » Et quelle réponse attend-elle ? Y aura-t-il des spécialistes pour décrypter la parole des pauvres avec autant de soin que la parole de Dieu ? Sommes-nous prêts à apprendre cette langue avant qu’elle ne devienne une langue morte ?
Et puis comprenons bien que Jésus refuse de ne voir que la peur à travers ces signes apocalyptiques. Cette fin du monde n’est pour lui que l’annonce d’un printemps. Avec l’imagerie de l’époque Jésus évoque une transformation radicale. Il a fallu que les bourgeons éclatent pour libérer les feuilles minuscules du figuier. Le message de Jésus n’est pas message de catastrophe, mais message de lumière. Aujourd’hui encore, on peut ne voir que les déchirures de l’écorce tendre, et s’enfermer dans la nostalgie du passé et ou dans la peur. Mais on peut aussi aiguiser son regard et se faire jardinier de l’été qui s’annonce. Le poète espagnol Gabriel Celaya murmurait cela à sa façon : “Ah ! Puissiez-vous entendre la croissance des feuilles.”
Hyacinthe Vulliez dans son livre Dieu si proche écrit joliment : “Quand le germe fait craquer l’écorce de la graine, on ne parle pas de mort, mais de vie. Quand les feuilles ou les pétales, encore menus, percent l’enveloppe brune des bourgeons, on ne parle ni de brisure, ni de violence, mais de beauté.” Et il conclut : “Allez, relevez donc la tête. Regardez, admirez. Dieu vient.”
Alors être vigilants, ce n’est pas rêver au futur. C’est vivre le moment présent en restant attentifs aux signes que le Seigneur nous fait. C’est ne pas perdre notre temps à autre chose que d’aimer et d’humaniser la vie. Demain commence aujourd’hui chaque fois que nous posons des gestes de vie, chaque fois que nous accomplissons des choix d’amour.
Robert Tireau, Prêtre du Diocèse de Rennes