Invitation au débat sur la « déchéance de nationalité »
26 déc. 2015Voici le texte qui a été adressé par le gouvernement aux députés socialistes le 24 décembre 2015.
Ce texte est évidemment orienté dans le sens du gouvernement. Je pense qu’il mérité d’être mis au débat dans le plus large public. J’ai choisi de le publier sur mon blog pour favoriser – à mon niveau – l’échange et la discussion. Je souhaite que ce débat reste digne et respectueux des opinions de chacun. Merci d’avance
Denis Chautard
« Argumentaire déchéance de nationalité
1. Un contexte très particulier : la France connaît une guerre d'un genre nouveau
Sur notre sol : nous avons connu les attentats des 7, 9 janvier puis 13 novembre 2015. Ces attentats sont les plus meurtriers perpétrés en France depuis la première guerre mondiale.
A l'extérieur, la France est en guerre contre Al Qaeda/Daech au Mali, en Syrie, en Irak...
- Un symbole : la communauté nationale est ouverte à ceux qui adhèrent à ses valeurs. Ceux qui les rejettent violemment s'en excluent d'eux-mêmes.
La déchéance de nationalité est une sanction que la Nation est légitimement en droit d'infliger à celui qui la trahit au point de la renier. Tuer aveuglément des compatriotes pour la seule raison qu'ils sont Français ou qu'ils sont en France, c'est exprimer un reniement total et définitif de la communauté française, c'est rejeter définitivement toute volonté de vivre ensemble sans distinction d'origine ou de religion, c'est manifester la haine de la Nation. C'est renier la Nation elle-même. La Nation a donc le droit d'en prendre acte et d'exclure de la communauté nationale ceux qui s'en excluent par ce comportement criminel.
- Une mesure qui n'est pas nouvelle
On ne peut pas laisser entendre que cette mesure serait une brèche sans précédent dans notre droit. Elle existe déjà sous deux formes différentes depuis longtemps :
- La déchéance est possible pour les personnes qui ont acquis la nationalité française et qui ont une deuxième nationalité.
- Il existe par ailleurs un article du code civil (23-7) qui prévoit la perte de nationalité pour le Français, qu'il soit né français ou qu'il ait été naturalisé, lorsqu'il se comporte en fait comme le national d'un pays étranger. Les effets sont les mêmes que ceux de la déchéance (ne plus avoir aucun des droits attachés à la nationalité française) mais cet article n'est pas applicable aux terroristes de Daech car Daech n'est pas un pays étranger dont ils pourraient être les nationaux. Et la perte si elle en a les mêmes effets, n'a pas la même valeur symbolique que la déchéance qui est une sanction et ne peut donc être inscrite que dans la Constitution.
Il n'y a donc pas de remise en cause de nos principes fondamentaux, mais une extension limitée à ce qui est admissible juridiquement de la possibilité d'exclure de la Nation celui qui a pris les armes contre elle. Cette mesure n'a ni pour objet, ni pour effet de créer deux catégories de citoyens, et certainement pas de jeter le discrédit sur les 3,5 millions de binationaux dans notre pays qui n'ont rien à craindre d'une mesure ciblée sur les seuls terroristes, mais au contraire de renforcer le sens de la citoyenneté pour tous les Français.
Dans l'absolu, il faudrait pouvoir déchoir tout auteur d'un crime terroriste de la nationalité française, qu'il soit bi-national ou non. Mais les principes internationaux que la France a reconnus interdisent de rendre une personne apatride.
4. Une limitation stricte de la mesure qui prémunit contre son dévoiement
Le Gouvernement a suivi strictement l'avis du Conseil d'Etat.
Le champ de cette disposition sera doublement limité par la Constitution elle-même :
- D'une part, il sera inscrit dans la Constitution elle-même que la déchéance ne sera possible que pour des personnes définitivement condamnées par la justice pour un crime contre la vie de la Nation - les crimes terroristes (et non pour des délits ou crimes pour des raisons différentes). Et aucune loi simple ne pourra étendre les cas de déchéance pour des citoyens nés Français.
- D'autre part, seule une condamnation définitive édictée par un tribunal indépendant, et pour un crime d'atteinte à la vie de la Nation ouvrira la possibilité d'engager une procédure de déchéance. La procédure prévoira de nombreuses garanties : contradictoire préalable avec l'intéressé ; décret pris sur avis conforme du Conseil d'Etat ; mesure placée sous le contrôle du juge administratif qui vérifie, au cas par cas, qu'elle ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits de la personne faisant l'objet de la déchéance.
En aucun cas, cette déchéance ne permettra aux auteurs d'un crime terroriste d'échapper à la justice : ils seront poursuivis et condamnés en France. Et c'est seulement à l'expiration de leur peine que, ayant été déchus de la nationalité, ils pourront faire l'objet d'une expulsion du territoire national.
5. Une mesure qui a des effets concrets
La déchéance permet de prendre des mesures de police : une fois déchu de la nationalité française, l'intéressé peut faire l'objet d'un éloignement, notamment vers le pays dont il a la nationalité. C'est ce qui est arrivé pour la plupart des déchéances récentes, même si ce ne peut être garanti. En effet, nous ne pouvons éloigner une personne, même condamnée pour terrorisme, si cet éloignement l'expose à des traitements inhumains et dégradants ou à un procès inéquitable. Mais, dans ce cas, il reste la possibilité d'assigner l'intéressé à résidence sans limitation de durée, une fois sa peine purgée (ce qui n'est pas possible pour les nationaux en dehors de l'état d'urgence).
Par ailleurs, dans tous les cas, la déchéance n'est pas dépourvue d'effets concrets en privant l'intéressé des droits qui s'attachent à la qualité de Français : notamment droits politiques et accès à certaines fonctions.
6. Une mesure bien comprise par l'opinion publique
95% des Français l'approuvent et 83% s'y déclarent même « très favorables », dont 76% des électeurs de F. Hollande en 2012 et même 61% des électeurs de JL. Mélenchon (sondage Ifop / Ouest-France).
Même pondérés par l'efficacité, ces résultats ne bougent pas : 63% des sympathisants socialistes et 55% des sympathisants de JL. Mélenchon estiment que « ce n'est pas efficace mais il faut quand même l'appliquer car il s'agit d'une question de principe ». Ils ne sont que 19% au PS et 28% au Front de gauche à juger que « ce n'est pas efficace donc il ne faut pas l'appliquer ».
Enfin, cette mesure permet de confirmer les engagements pris par le Président de la République lors de la réunion du congrès du 16 novembre 2015 : cohérence avec paroles prononcées dans ce moment exceptionnel et volonté d'unir le pays.
Paris, le 24 décembre 2015 »