Cisjordanie: des prêtres russes gardiens de la foi chrétienne au milieu du tumulte
18 janv. 2016Le père Eliseev, un des six prêtres russes, vivant dans l'église Mamré à Hébron, le 6 janvier 2016 Photo HAZEM BADER. AFP
Ce dimanche matin, le père Eliseev pénètre dans son église sépulcrale, assez vaste pour accueillir 200 fidèles. C’est l’heure où, ailleurs dans le monde, les autres prêtres mettent la dernière touche à leur oraison ou saluent leurs ouailles, mais lui n’a pas ce genre d’obligations.
Le père Eliseev, prêtre orthodoxe russe, est à la tête de l’unique église de Hébron en Cisjordanie, où les chrétiens ne sont qu’une poignée. Il ne prononcera pas de sermon cette semaine ni aucune autre semaine.
Hébron, la plus grande ville du territoire palestinien occupé par Israël, est sacrée pour les juifs et les musulmans qui y révèrent Abraham et les patriarches, enterrés dans le centre historique dans un monument antique et colossal aux allures de forteresse, appelé tombeau des Patriarches par les juifs, mosquée d’Abraham par les musulmans.
La cité est à la croisée des passions, 500 colons juifs y vivent retranchés sous haute protection militaire au milieu de 200.000 Palestiniens. Les violences y sont permanentes.
La vague actuelle d’affrontements entre Palestiniens et soldats israéliens et d’attentats anti-israéliens aura encore davantage éloigné les pèlerins chrétiens qu’aurait pu attirer le site.
Hébron ne signifie pas grand-chose pour les chrétiens, sur une terre où abondent les lieux saints: Bethléem où le Christ est né selon la tradition biblique, Jérusalem où il a été crucifié, sont à quelques dizaines de kilomètres au nord.
Le père Eliseev, 46 ans, joues roses et visage rond souligné d’une barbe, trouve ce désintérêt plutôt injuste. Dans les jardins se dresse la carcasse décharnée du Chêne de Mamré, également appelé Chêne d’Abraham, sous lequel Abraham se serait entretenu avec les anges et qui donne son nom à l’église construite tout près, au XIXe siècle.
- 'Tu es fou ?' -
Maintenu vertical par des étais métalliques, l’arbre, vieux de plusieurs milliers d’années selon la légende, semble mort, un peu comme la communauté.
Dans sa longue robe noire, le prêtre dresse le parallèle entre la persistance de la présence chrétienne et les visites d’Abraham à Hébron.
Quand le patriarche est venu acheter à prix d’or un terrain où enterrer sa femme Sarah, «les gens lui ont dit: 'tu es fou ? où vas-tu ?'» raconte-t-il à l’AFP. Le patriarche «n’a pas répondu».
Et le père Eliseev a fait de même quand il est venu s’installer en 2010 dans les Territoires palestiniens.
L’église, bâtiment blanc supportant deux dômes surmontés d’une croix, s’élève derrière un porche sous lequel le visiteur passe de la rue bruyante à un silence presque total, plus évocateur d’un monastère que d’une église.
Eliseev et cinq autres prêtres russes qui vivent avec lui dans le bâtiment attenant, se réveillent chaque jour à 06h00, prient pendant une heure, petit-déjeunent ensemble et retournent à la prière. Après le déjeuner, dernier repas de la journée, l’heure est de nouveau à la prière.
Aucun ne parle arabe. Mohammed, un Palestinien du coin qui a vécu en Russie, les aide à communiquer les rares fois où ils sortent.
«Parfois, je vais en ville m’acheter un chawarma», sandwich typique du Moyen-Orient, raconte Dmitry Dub, prêtre de 29 ans, «ou pour faire un tour en bicyclette».
- 'S’il y a la guerre...' -
Il n’en a pas toujours été ainsi. Quand l’Eglise russe a acheté le lieu de culte en 1868, il attirait un petit nombre de pèlerins, de Russie ou d’ailleurs.
Après la Révolution russe de 1917, l’église est passée entre les mains de l’Eglise orthodoxe hors de Russie. A la fin des années 1990, après des décennies d’âpres disputes entre deux communautés orthodoxes russes rivales, l’Autorité palestinienne a expulsé les moines et les religieuses et rendu l’église aux représentants du Patriarche russe de Moscou.
La nuit du Noël orthodoxe le 6 janvier, le père Eliseev a eu l’occasion rare de célébrer le culte en public. Mais Hébron est plus que jamais au cœur des violences israélo-palestiniennes.
«On a peur», dit Larissa Loukianova, Russe orthodoxe mariée a un musulman palestinien, qui vit à Hébron depuis 25 ans.
A l’intérieur de l’église, on oublierait presque le tumulte extérieur.
Mais le prêtre Dub n’est pas dupe. «S’il y a la guerre ici, nous devrons peut-être repartir» pour la Russie.
Alors que dans la plupart des églises des Territoires occupés, fréquentées par les chrétiens palestiniens, on défend la cause palestinienne, le père Eliseev, lui, tient un langage apolitique.
«Nous prions pour le calme sur cette terre jusqu’à ce que Dieu guide les hommes et que la paix revienne», dit-il. «Pouvons-nous abandonner la tradition de Noël ? Ce serait une erreur - tout comme la célébrer de manière trop ostensible le serait aussi».
Il s’attendait à ce qu’on ne se bouscule pas dans l’église le soir de Noël. Quatre prêtres ont préparé l’église pour les fidèles. Trois personnes sont venues.