Homélie du dimanche 17 janvier 2016
14 janv. 2016Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 2,1-11.
Le troisième jour, il y eut un mariage à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là.
Jésus aussi avait été invité au mariage avec ses disciples.
Or, on manqua de vin. La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. »
Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. »
Sa mère dit à ceux qui servaient : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. »
Or, il y avait là six jarres de pierre pour les purifications rituelles des Juifs ; chacune contenait deux à trois mesures, (c’est-à-dire environ cent litres).
Jésus dit à ceux qui servaient : « Remplissez d’eau les jarres. » Et ils les remplirent jusqu’au bord.
Il leur dit : « Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. » Ils lui en portèrent.
Et celui-ci goûta l’eau changée en vin. Il ne savait pas d’où venait ce vin, mais ceux qui servaient le savaient bien, eux qui avaient puisé l’eau. Alors le maître du repas appelle le marié
et lui dit : « Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. »
Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.
Homélie
Le texte de Cana a donné lieu à pas mal de plaisanteries autour du bon vin. En réalité, Saint Jean était sûrement sérieux quand il écrivait : “Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit… Il manifesta sa gloire et les disciples crurent en lui.” Le miracle de Cana, comme tous les miracles de Jésus, est bien un signe, un signe pour révéler qui est Jésus. En effet :
- lorsque Jésus a guéri des paralytiques, par exemple, ce n’est pas pour que jamais plus, il n’y ait de paralysés, mais pour révéler qui il est : non pas un super orthopédiste, mais un sauveur, qui veut que nous vivions debout.
- lorsqu’il a guéri des aveugles, ce n’est pas pour que personne ne soit plus jamais aveugle, mais pour révéler qui il est, non pas un super-ophtalmo mais “la Lumière du monde.”
- De la même façon, lorsque Jésus change l’eau en vin à Cana c’est pour révéler qui il est.
Alors, je vous invite à regarder de près ce récit et les symboles riches qui s’y trouvent :
1/ Le premier symbole, c’est la noce : Saint Jean a eu envie de montrer Jésus au milieu d’une noce. Sans doute parce que les Écritures, les textes des prophètes, ont souvent raconté la relation de Dieu avec son Peuple comme une histoire d’amour : fiançailles, tendresse, infidélité, colère, retrouvailles. Le texte d’Isaïe, la première lecture, en est un exemple : “On ne te dira plus délaissée… Toi, tu seras appelée ma préférence, mon épouse... Comme la jeune mariée fait la joie de son mari, tu seras la joie de ton Dieu.” On attendait qu’un jour, les Noces de Dieu et de l’humanité soient définitives. Eh bien ! Jésus est venu sceller cette nouvelle Alliance de Dieu et des hommes. La noce de Cana est bien plus qu’une noce de village.
2/ Deuxième symbole : les cuves en pierre que Jésus a choisies. Il aurait quand même pu trouver des récipients plus distingués que ces cuves destinées aux ablutions rituelles. Selon la loi de Moïse, les Juifs devaient se laver les mains avant de se mettre à table. Et c’est dans les cruches qui servaient à ça que Jésus fait verser de l’eau. Et il change en vin l’eau des ablutions. Autant dire que les pratiques rituelles en prennent un coup : le vin des noces de Dieu, le vin de la nouvelle Alliance, remplace l’eau de la religion juive. On devine le scandale : tout le système religieux est révolu. L’eau claire de la loi de Moïse fait place au vin capiteux annoncé pour les temps messianiques. Le vin généreux, c’est Jésus lui-même, qui va mettre la société en effervescence.
3/ Troisième symbole : La quantité et la qualité. Jésus a fait remplir les cuves jusqu’au bord : 600 litres d’eau changés en 600 litres de vin. On n’avait pas besoin de tout ça, sans compter que du moins bon aurait fait l’affaire. Surabondance et démesure, geste généreux, plaidoyer pour la gratuité. Nous ne sommes plus sous le régime du donnant-donnant où Dieu proportionnait ses dons aux mérites de l’homme. Dans la nouvelle Alliance, Dieu donne gracieusement, gratuitement.
Pour beaucoup de gens, Dieu reste un être lointain, impassible, loin de la vie des hommes. On est souvent resté sur une vieille idée philosophique de l’antiquité. L’Évangile de Cana révèle pourtant un Dieu amoureux de l’humanité. Un tremblement de terre ou une guerre ne sont pas signes de Dieu, mais tous les gestes de solidarité, oui.
Pour beaucoup de gens, le christianisme a pu être une religion de la peur et des interdits. Saint Jean a pourtant trouvé les mots pour dire que les prescriptions, c’est fini ! L’eau claire du légalisme a été remplacée depuis que Jésus a changé en vin l’eau des ablutions juives.
Pour beaucoup de gens, Dieu reste souvent un Dieu qui récompense ou qui punit en proportion de nos mérites. Saint Jean a pourtant invité à contempler un Dieu qui ne calcule pas, qui donne gratuitement avec surabondance, dans la démesure de l’amour.
J’aime bien Gérard Bessières quand il écrit au sujet de ce texte : “On croyait ferme que Dieu habitait dans le beau temple de Jérusalem… dans l’inviolable Saint des Saints… et voilà qu’il mangeait et buvait avec ces paysans, et qu’il était lui-même « homme avec insistance, provincial, Galiléen »… comme si Dieu avait déserté le Temple, les rites, les lieux et les temps sacrés, pour habiter l’humble vie humaine !…”
Robert Tireau, prêtre du diocèse de Rennes