L’Eglise défend la différence hommes-femmes, mais sait-elle la vivre ?
22 janv. 2016![L’Eglise défend la différence hommes-femmes, mais sait-elle la vivre ?](https://image.over-blog.com/DT1B3qY65UPICIKo3Eib5okk0X4=/fit-in/600x600/filters:no_upscale()/image%2F0933224%2F20160122%2Fob_3cd7f2_jesus-et-les-femmes-vermeer.jpg)
Alors que le Saint-Siège vient de publier un décret révisant les règles pour le rituel du lavement des pieds du Jeudi Saint, pour qu’il ne soit plus réservé aux hommes mais « représente la variété et l’unité de chaque portion du peuple de Dieu », le supplément féminin de L’Osservatore Romano s'intéresse à la complémentarité entre les sexes dans l'Eglise. Sans prendre de gants.
L’Église défend la différence des sexes mais sait-elle la vivre ? Telle est la question soulevée par le mensuel féminin Donne Chiesa Mondo, supplément du journal du Vatican l’Osservatore Romano. Dans l’éditorial du dossier, la directrice de la publication, Lucetta Scaraffia, par ailleurs surnommée « la féministe du Vatican » plaide pour « une Église plus vivante et accueillante, une Église qui ne se limite pas à défendre la différence, mais la découvre en son sein, et décide enfin de la vivre sous toutes ses formes vitales ».
Il y a quelques semaines, Lucetta Scaraffia, observatrice au synode sur la famille et à ce titre, une des rares femmes présentes dans la salle, avait publié un journal de son expérience dans Le Monde, « Et Dieu bouda la femme » qui avait fait grand bruit, y compris hors des cercles catholiques. Elle y déplorait que peu de femmes aient été invitées à Rome pour le dernier volet de la réflexion de l’Église catholique sur la famille et surtout que les rares élues aient si peu de poids dans le débat, devant se contenter de prises de parole sporadiques et ne pouvant pas voter : « Les femmes sont quasi invisibles, écrivait-elle. Et quand je les évoque, avec force, dans mes interventions, me plaignant de leur absence alors même qu’il s’agit de débattre de la famille, on me trouve "très courageuse". Me voilà applaudie, remerciée même parfois ; je suis un peu surprise, puis je comprends qu’en parlant clairement je les ai dispensés de le faire. »
Elle concluait : « Portée par ce flot de sensations contradictoires – entre la colère suscitée par une évidente exclusion et la satisfaction d’être là tout de même – je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il était quand même extraordinaire, de nos jours, de participer à une assemblée qui s’ouvre avec le chant du Veni Creator Spiritus et se close sur le Te Deum. Mais c’est précisément pour cette raison que je souffrais encore plus de l’exclusion injuste des femmes d’une réflexion qui, en principe, portait sur le rapport de l’humanité dans son ensemble, et donc des hommes et des femmes, avec Dieu. » Elle n’était pas la seule à déplorer ce déséquilibre. Dans l’assemblée, une jeune soeur avait découvert en discutant avec le pape, que les quatre lettres que son association lui avait envoyées « pour réclamer plus d’espace pour les religieuses » n’étaient jamais parvenues entre ses mains. Côté masculin, Paul-André Durocher, archevêque de Gatineau, avait plaidé pour l’accès des femmes au diaconat permanent. Philippe Janson, frère des écoles chrétiennes, seul père synodal à ne pas être évêque – il avait obtenu une autorisation spéciale du pape l’autorisant à faire partie de l’assemblée et donc à participer au vote, s’était interrogé sur le fait que, par sa présence, le critère décisif permettant ou non d’être là « de plein droit » ne soit plus « clerc / laïc » mais « homme ou femme ».
A présent, Donne Chiesa Mondo « contre-attaque » en se plaçant sur le terrain non pas de la dénonciation mais de l’Histoire de l’Église et des exemples de « best practices » en matière de collaborations homme-femme. Au Sud Soudan, dans une société en guerre où les femmes sont victimes de violences sexuelles notamment, sœur Yudith du projet Solidarity with Sudan relate combien l’exemple donné par l’Église avec des religieux et des religieuses capables de travailler main dans la main, à égalité, est vital : « C’est un modèle, un paradigme de vie religieuse qui fonctionne, explique-t-elle. Nous sommes vraiment complémentaires. Ce qui est un problème pour nous, ne l’est pas pour les religieux, et vice-versa : vivant et travaillant ensemble nous apprenons tous, par exemple, à relativiser. Tous nous faisons tout : il n’y a pas de rôles pour les hommes et des rôles pour les femmes. Même les religieux cuisinent (certains sont des cuisiniers exceptionnels), nous partageons tout le travail domestique et d’entretien de nos maisons. » Au monastère de Bose, Enzo Bianchi affirme que la capacité à vivre la différence est un des principaux critères de discernement pour savoir si tel frère ou tel sœur peut vivre dans la communauté Ici, on a déclaré la guerre au sexisme : « Le discernement s’exerce sur le fait que si un homme dévalorise la femme et ne tient pas compte de sa présence, cela veut dire que Bose n’est pas son lieu ».
La question est aussi – et peut-être plus encore – spirituelle que politique. Au-delà de l’éternel débat autour du plafond de verre qui empêche les femmes d’accéder plus largement à des postes à responsabilité dans l’institution, pour le spécialiste de mystique Marco Vannini il faut lever le soupçon qui pèse sur l’amitié homme-femme. L’enjeu est que pour vivre et non pas simplement défendre la différence des sexes, comme y exhorte Lucetta Scaraffia dans son éditorial, il faut reconnaitre la possibilité de telles amitiés. Cela, estime Vannini, nécessite de l’honnêteté, celle de « reconnaître qu’au fond de la nature humaine il existe, incontournable, Eros, l’amour, qui est tout d’abord un désir d’union avec un corps ». Mais, conclut Vannini, « c’est précisément dans l’amitié, riche de l’éros entre homme et femme, que se manifeste plus que jamais la grâce de ce "sentiment populaire qui naît de mécaniques divines", comme le dit une chanson de notre époque, l’Amour "qui meut le soleil et les autres étoiles" ». Ainsi, l’amitié spirituelle homme-femme est le premier lieu de reconnaissance de l’égale dignité des sexes, le socle sur lequel l’Église peut s’appuyer, forte de son Histoire riche en histoires à la Claire et François (d’Assise), pour rééquilibrer la donne et rendre aux femmes une place reconnue dans les débats qui l’animent et les réformes à venir.
Marie-Lucile Kubacki