Le mal-logement, une affaire de santé publique
30 janv. 2016La France est malade du mal-logement. C'est ce qu'affirme la Fondation Abbé Pierre dans son 21e rapport annuel, publié le 28 janvier. Cette étude donne un violent coup de projecteur sur les impacts de la crise du logement sur la santé.
Mieux vaut être riche et bien portant que pauvre et malade... Le dicton n'a jamais été aussi vrai qu'à la lecture du 21e rapport de la Fondation Abbé Pierre sur le mal-logement en France. Qu'elles dorment à la rue ou en habitat de fortune, qu'elles vivent en bidonvilles, dans des conditions sanitaires inacceptables, qu'elles tournent entre les différentes formes d'hébergement proposées par les dispositifs publics (accueils d'urgence, hôtels, hébergement d'insertion…), les personnes sans domicile souffrent de nombreuses pathologies liées à leur problème de logement.
En 2007 déjà, la Fondation tentait d'attirer l'attention avec ce slogan : « Quand on est malade, on reste à la maison, mais quand c'est le logement qui rend malade ? » Neuf ans plus tard, le constat est aussi noir que les taches d'humidité aux murs que déplorent 5,8 millions de ménages, aussi glaçant que les foyers trop froids dont se plaignent plus de 11 millions de Français. La Fondation réclame que l'on s'empare de cet enjeu de santé publique : si on ne fait rien, le mal-logement risque de constituer, « insidieusement, à bas bruit, pour des centaines de milliers de personnes, un scandale équivalent à celui de l'amiante ».
3,8 millions de personnes (contre 3,5 millions l'an dernier) sont aujourd'hui mal logées en France et, plus globalement, 12,1 millions sont fragilisées sur la question du logement. L'absence totale de toit, et avec elle les problèmes d'accès à l'hygiène, est dramatique. Le mauvais état d'habitation est également pointé du doigt, car si le saturnisme a tendance à reculer, les pathologies respiratoires et dermatologiques, dues à l'humidité, se développent. La Fondation Abbé-Pierre plaide pour une meilleure collaboration entre les acteurs du secteur médico-social et les professionnels du logement.
Comment prendre un traitement ou se rétablir après une opération quand on est dans la rue ? Les associations qui œuvrent auprès des sans-abris le savent : ne pas avoir de toit, c'est ne plus pouvoir se soigner. L'espérance de vie, sous un carton ou sur un trottoir, en proie à la gale, aux bronchites, pas ou mal soignées, ne dépasse pas les 49 ans. Mais la santé trinque aussi sous un toit trop petit, précaire ou insalubre, que l'on paie en rognant sur l'alimentation, les soins et le chauffage. L'humidité, qui favorise les moisissures, le mauvais chauffage - qui, accessoirement, expose à des intoxications au monoxyde de carbone (1000 épisodes chaque année) - entraînent également une ribambelle de pathologies : rhinites, maux de gorge, otites, eczéma, asthme et troubles du sommeil. Le rapport explique que les personnes mal logées ont plus de risques (+40%) de se déclarer en mauvaise santé. Ces risques sont encore accrus (+50%) pour celles en situation de précarité énergétique.
Chiffre marquant, le nombre de sans-abri a bondi de 50% entre 2001 et 2012, pour atteindre 141.500 personnes. En outre, près de 2,9 millions de personnes vivent dans des conditions très difficiles, dont 2,1 millions ne possèdent pas d'eau courante, de WC intérieurs, de douche, de moyen de chauffage ou de coin cuisine, ou vivent dans un immeuble à la façade très dégradée. Pour Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, « l'aggravation du mal-logement touche avant tout les classes populaires ». Et l'extrême pauvreté, c'est-à-dire les personnes touchant moins de 40% du revenu médian (660 euros par mois et par unité de consommation), qui avait diminué entre 1996 et 2002, est repartie à la hausse. « Le logement est le reflet des inégalités, mais il en est aussi un accélérateur », souligne Christophe Robert qui appelle les pouvoirs publics à agir, en particulier en construisant des logements, et surtout des logements sociaux accessibles aux ménages les plus modestes.
« Engageons des politiques volontaristes ! », exhorte la Fondation qui reproche au gouvernement d'avoir failli à sa mission. Au lieu des 150 000 logements sociaux attendus, seuls 109 000 ont été financés en 2015. « Il reste un an et demi à ce gouvernement pour finir ce quinquennat. Il faut mettre à l'abri tous ceux qui sont en difficulté et il faut engager une véritable politique structurelle pour enrayer ce processus d'exclusion par le logement ». Alors que près de 500 décès de sans-abri sont dénombrés chaque année, la Fondation Abbé Pierre s'indigne : « La sixième puissance du monde ne peut pas laisser crever autant de personnes à la rue comme cela se passe encore aujourd'hui. Il faut agir ! »
Laurent Grzybowski
Pour lire le rapport : www.fondation-abbe-pierre.fr