Oui au combat de la police contre le fanatisme, non à la police de pensée

Je ne pensais pas un jour écrire une telle tribune. Je n’imaginais pas comme président de la Fédération protestante de France, représentant la belle diversité spirituelle évangélique, pentecôtiste, baptiste et luthero-réformée, exprimer en quelques mots la question vive de ce temps qui est au cœur de polémiques et de querelles. De quoi s’agit-il ? De la compréhension même de ce qu’est la religion. J’en propose donc ici, un regard singulier, certes, mais légitime. Depuis de longues années, le protestantisme est la sentinelle, avec d’autres, d’une société toujours en mutation au plan éthique, juridique, et sur les sujets qu’on nomme sociétaux.

La défense de la liberté de conscience, l’exigence de solidarité avec ceux qu’on oublie sans même s’en rendre compte, l’éducation à la responsabilité citoyenne, tout cela est enraciné dans son histoire qui fait de ce protestantisme un agent certes bien modeste mais constructif et exigeant de la société. Et depuis 1905, faut-il encore le rappeler, il est un coproducteur de la laïcité et de la séparation des Églises et de l’Etat.

Aujourd’hui, pour le dire clairement, la question vive qui occupe le pays est celle du rapport blessé entre démocratie et spiritualité. Comment voyons-nous la question ? Les protestants se définissent volontiers comme chrétiens et à ce titre, ils revendiquent une identité multiple et une double citoyenneté : citoyens et chrétiens, citoyens de ce monde, de ce pays, et citoyens, déjà, du royaume, républicains et laïcs, laïcs et croyants, contrairement à ceux qui font équivaloir dans une confusion de la pensée laïcité et athéisme.

Je proteste donc contre ceux qui dénient à quiconque le fait et le droit d’assumer cette identité plurielle, et qui désirent hors d’un réel qui est pourtant bien là, une société neutralisée au plan religieux au prétexte séduisant qu’il y a effectivement des extrémistes violents et meurtriers. Le combat contre ceux-ci doit être mené, bien évidemment, et les protestants savent aussi par leur propre histoire douloureuse combien dangereux peut être le fanatisme intolérant qui veut imposer une seule foi. Ce combat appartient donc à la police, à la justice et même à l’armée. Mais pas à la police de quelque pensée que ce soit. Et le désir d’éradication ou d’émancipation du religieux, comme je l’ai entendu de la part d’un Grand Maître de loge, est une chimère affreuse, issue des controverses anciennes du XVIII siècle, bien avant que l’anthropologie, la philosophie, la sociologie religieuse et même la théologie nous aient appris que l’homme vit aussi d’espérances imprenables et traduit ses pensées par des symboles, des rites et des célébrations.

Ce désir forcené et inquiétant d’émanciper le citoyen et l’espace public du religieux, exprime à son tour, me semble-t-il, un fondamentalisme : la croyance infondée en un monde univoque, il décrit un être humain horizontal, quasi abstrait, sans que son regard s’élève et puisse se laisser rejoindre par une verticalité, une transcendance. Et surtout il induit la certitude que la religion est obscure. La religion, selon ce que je sais, est acte de lecture et de relecture (religere) des textes anciens. Elle est donc acte de raison autant que de critique. La raison, de la sorte, est sœur jumelle de la foi. Et le petit dernier de cette étrange famille, l’amour, a bien de la peine à se faire entendre dans ce débat houleux. Ratio, fides et caritas font une trinité féconde dont le triptyque républicain n’est pas si éloigné, si l’on veut bien y regarder de près.

J’atteste donc que le culte est au cœur de la culture, et que la religion ne peut être arrachée ou encore arasée sans que les hommes n’y perdent une part essentielle de leur identité.

Les Lumières, dont il faut lire et relire les auteurs - pour une belle part - protestants, au fond disent cela : c’est au croisement de la foi et de la raison que l’humain s’humanise. Quand la confiance en ce qui est bon et juste en lui se traduit dans la loi commune de la cité.
La spiritualité est une ressource pour la démocratie. Et la démocratie, le lieu le plus autorisé pour qu’elle s’y exprime librement mais sans jamais en saturer l’espace.

L’apprentissage du christianisme à la démocratie a été long et difficile. Celui de l’islam commence aussi très mal. Alors qu’il commence à chercher ses marques, ce n’est vraiment pas le moment de l’humilier. Il faut que la République laïque soit grande et, avec son autorité, comme elle le fait pour la formation de ses aumôniers et de ses imams, elle le considère non pas dans la haine mais dans le respect.

François Clavairoly

Pasteur, président de la Fédération protestante de France


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