Vers un délit de cosignature ? le procès contre Jean-Louis Bianco et « coexister »

Depuis sa création, notre blog n'a jamais caché sa sympathie pour l'association Coexister (pour ceux qui aiment relire les archives, ne cherchez plus ! Mon premier billet à leur sujet est ici). Aujourd'hui, comment ne pas redire mon soutien alors que ces jeunes se voient pris dans une polémique initialement lancée contre Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire National de la Laïcité ?

A la source de cette polémique, nous trouvons Laurence Marchand-Taillade, de l'Observatoire de la Laïcité du Val d'Oise, qui, dans une pétition, réclame la démission de Jean-Louis Bianco. Elle accuse au passage Radia Bakkouch, actuelle présidente de Coexister, de vouloir "remplacer la neutralité laïque de l'espace public par la coexistence des religions". Puis, dans une lettre au premier ministre français Manuel Valls, c'est l'association qu'elle accuse de vouloir "prôner la laïcité à l'anglo-saxonne, l'œcuménisme" et d'être "en train d'acheter le mot-clef Laïcité sur Google avec Adwords".

La présidente de Coexister a réagi en rétablissant notamment un certain nombre de faits : dans un premier communiqué, elle rappelle que la "neutralité laïque de l'espace public" n'existe pas dans le droit français ; dans un deuxième courrier, elle explique a son interlocutrice -qui semble en effet en avoir bien besoin- le fonctionnement de Google Adwords... qui ne repose pas sur l'achat de mots-clefs exclusifs. Quant au fait de rappeler que Coexister est "un mouvement de jeunesse reconnu d’intérêt général qui rassemble des jeunes de toutes convictions, croyants ou non croyants et défend la laïcité telle que définie dans la loi française", c'est, pour toute personne sérieuse allant s'informer de la réalité vécue par ces jeunes sur le terrain, une simple évidence.

Mais voilà : ces attaques fantaisistes qui auraient pu sombrer dans l'oubli ont reçu un écho national en la personne de Manuel Valls, qui vient de déclarer lundi dernier devant le CRIF que "l'Observatoire de la laïcité - qui est placé sous ma responsabilité - ne peut pas être quelque chose qui dénature la réalité de cette laïcité (...) On ne peut pas signer des appels, y compris pour condamner le terrorisme, avec des organisations que je considère comme participant d'un climat (nauséabond), ça n'est pas possible". Et voici que Coexister, à l'origine du fameux appel dont il est question ici, se voit désormais négligemment listé dans un article comme étant l'un des "5 signataires (...) qui formeraient (...) les représentants les plus virulents de l’islam politique". A ce rythme là, ne va-t-on pas bientôt étiqueter définitivement Coexister comme "association controversée" - élément de langage désormais familier dans notre médiacratie ?

Car telle est en fait la seule accusation qui semble avoir du poids pour les détracteurs de Jean-Louis Bianco : "Pire encore, le 15 novembre 2015, alors que la Nation était sous le choc à la suite des attentats sanglants, il a cosigné une tribune intitulée « Nous sommes unis » avec une partie du gratin de l’islam politique en France". Du contenu réel du texte, aucun de ses opposants ne parle. Du fait qu'il a été écrit par des jeunes n'ayant en tête que de "répondre à l'urgence de messages positifs" comme le rappelle sur iTélé le précédent président de Coexister, Samuel Grzybowski, nulle mention. Et puis, quitte à faire la leçon aux signataires de ce textes, pourquoi ne s'arrêter qu'à Jean-Louis Bianco ? Pourquoi Manuel Valls n'a-t-il pas fait également la leçon à Robert Ejnes, directeur exécutif du CRIF, également cosignataire, et qui tweetait aujourd'hui même avoir "signé sur le texte, ça n’empêche pas [son] opposition à certains des signataires" ?

Depuis quand est-on responsable de la signature des autres ?

Il se trouve que la polémique actuelle n'est pas sans rappeler une autre, plus ancienne, lancée par François Copé, alors président de l'UMP : "Le Parti socialiste, cosignant un appel avec Tariq Ramadan, montre la réalité de ce qu'il est : un parti irresponsable". Cédant à la pression médiatique, Laurent Fabius et Martine Aubry avaient retiré leur signature de ce texte publié à l'époque par le Nouvel Observateur. Martine Aubry justifiera par la suite son geste au nom de ses responsabilités politiques d'alors : "Si on ne signe pas un appel uniquement en fonction des autres signataires, a fortiori quand on ne les connaît pas à l’avance, il n’en reste pas moins qu’en ces temps où l’UMP s’engage dans un débat dangereux qui divise les Français et qui légitime la xénophobie, je veille aussi, en tant que Première secrétaire du PS à éviter les instrumentalisations (...) Ne souhaitant pas donner à la droite la possibilité de prolonger médiatiquement leur stratégie nauséabonde – car les médias en auraient fait, plus longtemps encore, un élément de polémique – j’ai décidé comme Laurent Fabius de retirer ma signature et de le faire savoir. Je maintiens bien sûr mon accord avec le contenu de la pétition"

Cette semaine, il semblerait qu'un premier ministre membre du PS a à son tour légitimé ce qu'il va peut-être nous falloir appeler la "jurisprudence Copé" : peu importe la valeur d'un texte, il suffit qu'une personne que l'on diabolise l'ait signé pour rendre illégitimes tous les autres signataires (ce qui, soit dit en passant, impliquerait pour Manuel Valls de demander des comptes à sa ministre de la Justice, Christiane Taubira, qui est, elle, toujours signataire de l'appel de Respect Mag cosigné par Tariq Ramadan)

"Il en est ainsi des pétitions. L’identité des signataires est souvent au moins aussi riche en enseignements que l’intitulé" : je ne peux qu'acquiescer face à cette entrée en matière proposée, pour un tout autre sujet que celui qui nous occupe ici, par un blog que j'apprécie tout particulièrement. Mais pour que cette analyse ait un sens, il faut alors étudier l'ensemble des signataires, et non focaliser l'attention du public sur quelques-uns. Ce que n'a pas manqué de rappeler Jean-Louis Bianco : ""On a fait un travail impeccable avec ce collectif (...) 90 personnalités très diverses et respectables ont signé notre appel, et je ne vois pas comment le Premier ministre peut me rapprocher de l'avoir signé moi aussi. A moins qu'il n'ai pas pris le temps de lire la liste de ses personnalités ?"

Un peu de bon sens. Certes, quand on signe une pétition, il ne faut pas être naïf, car on engage sa responsabilité, personnelle voire institutionnelle. Mais lorsque l'un des signataires semble poser problème, n'est-ce pas vers lui qu'il faut se tourner pour l'interroger sur le sens de sa démarche ? En quoi les autres signataires seraient-ils responsables de son choix ?

Je laisse le mot de la fin à Samuel, car après tout, ce texte si peu lu par ses détracteurs, il en est le principal auteur : "Le 13 novembre nous disions 'Nous Sommes Unis' avec tous les citoyens 'sans distinction d’origine, de race ou de religion' comme le proclame le premier article de notre constitution. Aujourd’hui encore 'Nous Sommes Unis' avec tous les Français qui acceptent notre message d’unité républicaine"

...Au fait, si vous voulez vous nous rejoindre, pour signer "Nous Sommes Unis", c'est ici

Heureux les artisans de paix :
ils seront appelés fils de Dieu (Mt V, 9)

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