L’Association D’Entraide aux Migrants à Vernon (Eure)
27 févr. 2016L’accueil des migrants est une réalité éminemment politique et profondément évangélique.
Elle est une pierre d’achoppement et provoque tensions et divisions dans notre société qui a tendance à se replier sur elle-même et sur ses difficultés !
Pourtant dans l’expérience de cet accueil « au quotidien » je découvre que c’est une aventure qui nous « tire vers le haut » ! Je m’explique.
Depuis mon arrivée à la retraite professionnelle – le 1er aout 2014 - je me suis engagé (à Vernon, Eure) dans l’ADEM (Association D’Entraide aux Migrants), une association issue du Secours Catholique. Nous sommes une équipe de cinq personnes et nous accueillons tous types de Migrants en souffrance pour leurs droits sociaux ou pour leur titre de séjour lors de permanences publiques deux matinées par mois (1). Ce sont plus de 30 familles que nous recevons chaque mois et parmi elles de nombreuses jeunes femmes Africaines avec des enfants – ou même des bébés – qui se retrouvent à la rue parce que « déboutées du droit d’asile », elles doivent obligatoirement libérer les places où elles étaient hébergées en Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile un mois après s’être vues notifié leur rejet de leur demande de statut de réfugiée auprès de la Cour Nationale du Droit d’Asile.
Ce sont la plupart du temps les intervenants sociaux des foyers de Migrants, les assistantes sociales scolaires, du Département, de l’hôpital ou mêmes les associations caritatives qui nous les envoient lorsqu’ils n’ont plus de solutions à leur proposer.
Nous travaillons en partenariat avec les autorités : le Préfet et la Secrétaire Générale de la Préfecture, le service des étrangers, la Direction Départementale de la Cohésion Sociale, le 115, France Terre d’Asile, les Services Sociaux, les foyers ADOMA, le Centre Hospitalier Intercommunal Eure et Seine, les établissements scolaires, avec des cabinets d’avocats spécialisés en Droit des Etrangers, avec les associations caritatives et humanitaires.
Dans l’équipe nous sommes très complémentaires : accompagner les personnes au guichet de la préfecture, auprès des travailleurs sociaux, intervenir auprès de la Direction de la Cohésion Sociale pour une « mise à l’abri » en urgence de personnes vulnérables, écrire au Préfet, à la Déléguée Départementale aux Droits des Femmes, à la Secrétaire Générale ou même au Directeur des Libertés Publiques qui a autorité sur le Service des Etrangers pour faire valoir les Droits des personnes ou même pour demander – à titre humanitaire et exceptionnel – un Droit au séjour dans des cas où le retour au pays mettrait réellement en danger une personne du point de vue de sa vie ou de sa santé (absence de soins disponibles au pays pour un étranger gravement malade).
L’accueil des étrangers dans ce « travail » que nous faisons est un défi permanent : il nous faut être compétents, toujours avides de mieux connaître les lois et la réglementation ainsi que tous les partenaires (très nombreux) qui œuvrent sur le même territoire. Il nous faut absolument travailler en équipe (c’est primordial) mais aussi en réseau – car les personnes en détresse vont frapper à toutes les portes et il n’est pas rare de découvrir qu’une situation est gérée au même moment par 3 ou 4 intervenants différents. Jouer les « franc-tireur » sera toujours au détriment du résultat et de l’efficacité. Il faut toujours prendre contact avant toute action avec les différents intervenants potentiels (avocats, associations de soutien aux migrants, services sociaux…) afin d’engager notre propre intervention ou bien d’orienter vers un partenaire mieux placé.
Dans quelques cas (5 ou 6 en un an) nous avons réussi à héberger des personnes pour des périodes limitées chez l’habitant ou dans des communautés religieuses. Mais quelle énergie et quelle hargne pour y parvenir !
C’est un travail rude – car nous rencontrons beaucoup de détresses, humble – car les résultats sont loin d’être toujours au rendez-vous, où il faut faire preuve de pugnacité, de patience et d’endurance – car on a souvent le sentiment d’avoir à faire bouger des montagnes… mais quel immense bonheur lorsqu’une personne, une famille qui étaient sans droits, sans logement, sans ressources –recouvre droit au séjour, ressources, logement et dignité !
Nous avons fait le choix de ne pas « manifester publiquement » en faveur des personnes que nous accompagnons car ce serait emmener nécessairement notre action sur le terrain idéologique et politique (ce qui ne veut pas dire que nous nous opposons aux associations qui ont fait ce choix). Notre efficacité est liée à notre compétence, à notre disponibilité et à notre crédibilité (pour ma part ce « travail » occupe plus les trois quarts de mon temps !)
Un signe qui ne trompe pas : le préfet de l’Eure, à la suite du ministre de l’intérieur a invité les mairies, les associations et tous les partenaires à se mobiliser pour l’accueil des réfugiés.
A Vernon toutes les associations caritatives, de défense des droits de l’homme – confessionnelles et laïques – se sont réunies au sein d’un collectif de 13 associations pour « l’accueil des réfugiés ». Le bureau du collectif (dont je suis membre) a été reçu par les responsables de la préfecture et à leur demande, le lundi 1er février dernier.
Nous avons vu – à cette occasion que les autorités nous accréditaient comme de véritables partenaires.
Denis CHAUTARD
Prêtre de la Mission de France
A Vernon, Eure, le 26 février 2016
(1) Permanences de l’A.D.E.M. : le premier mardi et le troisième vendredi de chaque mois (excepté 15 juillet – 15 août) de 10h à 13h au 28, rue du coq à Vernon