Homélie du dimanche 6 mars 2016

Aujourd’hui, Jésus nous raconte une histoire. Une de ses plus belles histoires dont lui seul a le secret. Une histoire comme bien des histoires que l’on raconte aux enfants : « Il était une fois un homme… »

Mais pourquoi Jésus raconte-t-il cette histoire? L’évangéliste Luc nous en donne l’explication suivante : « Les collecteurs d’impôts et les pécheurs s’approchaient tous de Jésus pour l’écouter. Et les pharisiens et les scribes murmuraient; ils disaient : “Cet homme-là fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux !” La parabole de l’enfant prodigue est donc une réplique à la critique des opposants de Jésus.

Comme une pièce de théâtre, elle met en scène différents personnages, mais l’acteur principal, c’est le Père. Cette parabole aurait pu s’intituler “la parabole de la miséricorde du Père”, tellement le visage que Jésus nous dépeint de lui est étonnant, surprenant même. Est-ce que Dieu peut nous aimer à ce point? Les pharisiens et les scribes semblent en douter.

Jésus nous raconte l’histoire d’un jeune homme qui dépouille littéralement le père de son bien quand il quitte la maison avec sa part d‘héritage. Mais le Père le laisse aller. L’agir du fils cadet va aller à l’encontre de toutes les valeurs de sa famille : il s’établit dans un pays païen, il devient le gardien d’un troupeau de porcs, un animal impur pour les Juifs. Il mène une vie dissolue et, d’après son frère, il aurait dépensé tout son argent avec les files. Ici, l’on sent la méchanceté de l’aîné, mais nous y reviendrons.

Le Père lui ne cesse d’attendre son fils devant la maison. Il l’attend sans doute depuis son départ, et quand il le voit revenir, il se jette à son cou. Le fils cadet n’a même pas le temps de dire à son père toute la formule de regret qu’il avait préparé. Le Père le prend dans ses bras, il l’embrasse et il ordonne aux serviteurs de préparer la salle pour la fête.

Le fils cadet n’est pas dépouillé de sa dignité aux yeux du Père parce qu’il a péché. Au contraire, le Père s’écrie : “Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller. Mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds.”

Le père revêt son fils des habits de l’élection, de la bénédiction. Le fils est choisi à nouveau par son père. Il est revêtu des sandales de l’homme libre, de la bague des fiançailles, et il est invité au banquet des noces. “Allez chercher le veau gras, tuez-le; mangeons et festoyons. Car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie; il était perdu, et il est retrouvé.”

Par cette parabole Jésus veut nous révéler ce visage trop souvent méconnu de Dieu, pour qui il n’y a pas de pays, aussi lointains soient-ils, de situations, aussi désespérées soient-elles, dont on ne peut revenir. Jésus raconte cette parabole parce qu’on l’accuse de faire bon accueil aux pécheurs. Elle met en scène un fils aîné qui représente ces pharisiens et ces scribes qui critiquent Jésus. Le fils cadet lui représente les pécheurs qui ont besoin de guérison, et qui, dans leur exil, ont entendu la Bonne Nouvelle du Christ, et ont repris le chemin vers la maison du Père.

Maintenant, il est important de souligner l’attitude du Père à l’endroit du fils aîné, lui qui refuse d’entrer dans la salle du festin. Le père va même sortir pour aller lui parler. Une invitation lui est faite à prendre part au grand pardon de Dieu. “Mon enfant, lui dit-il, toi tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi.”

Voyez comme le père l’aime lui aussi, alors que le fils aîné semble tout ignorer de cet amour du Père pour lui. Le Père prend même la peine de s’expliquer : “Mais il fallait festoyer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et il est vivant, il était perdu et il est retrouvé.” Remarquez que le père ne dit pas “mon fils que voici était perdu…”, mais plutôt “ton frère que voici”. Le fils cadet n’est pas seulement un fils pour son Père, mais il est aussi un frère pour le frère aîné et tous les deux sont aimés tout autant.

Jésus nous enseigne aujourd’hui que notre Père du ciel est un Dieu d’amour et de miséricorde, et que dans son pardon nous trouvons la guérison. Les paroles du Père pour le fils aîné sont tout aussi empreintes de tendresse que pour le fils cadet, car Dieu aime tous ses enfants. Dans nos vies, l’on peut être tour à tour fils cadet et fils aîné, fille cadette et fille aînée, mais Jésus dans cette parabole nous invite à aller plus loin. Il nous invite à devenir comme le Père.

Vous connaissez l’expression “tel père, tel fils”, “telle mère, telle fille”. La parabole de l’enfant prodigue nous est racontée pour nous dévoiler le vrai visage de Dieu, et pour nous inviter à devenir comme Lui, à porter avec Lui le souci du monde, à aimer avec Lui tous nos frères et sœurs où qu’ils soient, quelles que soient leurs situations.

Tous ensemble, nous avons la charge de tous les humains, d’ici et d’ailleurs, chacun et chacune de nous, selon nos possibilités, nos talents, nos ressources. Nous avons tous un rôle à jouer dans ce ministère de la réconciliation qui nous est confié en Église. Comme nous le rappelle saint Paul, nous sommes tous des ambassadeurs du Christ, et le premier pas qui mène vers l’autre, est tout d’abord de porter le souci de cet autre, de ne pas vivre dans l’indifférence, dans l’ignorance de l’autre, surtout les plus pauvres. Nous devenons des reflets du visage du Père quand nous avons le souci des plus malheureux. Voilà ce à quoi Jésus nous invite dans la parabole de l’enfant prodigue.

Je me souviens de cette jeune infirmière qui revenait d’Haïti et qui pleurait en me racontant la misère qu’elle avait vue là-bas, et qui m’avait dit : “Il me semble, que le bon Dieu doit avoir honte de nous.” En dépit du propos, je la trouvais belle dans son indignation et dans sa tristesse. Je me disais : “voilà vraiment la fille de son père, son Père du ciel. Comme il doit se reconnaître en elle”.

Vivre les valeurs évangéliques, refléter le visage de Dieu, est un long et patient travail sur nous-mêmes, et qui est rendu possible si nous marchons avec Jésus. Ce matin, il vient nous rappeler que Dieu nous aime d’un amour fou, déraisonnable, parce que nous sommes ses enfants bien-aimés et qu’Il nous attend au festin du Royaume. Il guette notre arrivée. N’est-ce pas là un motif suffisant pour nous inciter à participer à la grande fête de Dieu avec l’humanité?

D’ailleurs, cette fête est déjà commencée. Nous la célébrons en chacune de nos eucharisties en attendant la grande fête du ciel. Amen.

Yves Bériault, Dominicain

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