L’Église va-t-elle autoriser les femmes à prêcher pendant la messe ?
04 mars 2016Dans le supplément mensuel féminin de L’Osservatore Romano publié le 1er mars, plusieurs voix, dont Enzo Bianchi, fondateur de la communauté œcuménique de Bose, proposent que les laïcs, et notamment les femmes, soient autorisés à prêcher pendant la messe.
Une série d'articles publiés par le mensuel féminin Donne Chiesa Mondo, supplément du journal semi-officiel du Vatican, exhorte l'Eglise catholique à permettre aux femmes de prêcher à la messe, « un rôle qui a été réservé presque exclusivement à la prêtrise pendant près de 800 ans », relate Religion News Service ce mercredi 2 mars. « Ce sujet est délicat, mais je crois qu'il est urgent que nous le traitions », écrit Enzo Bianchi, prieur de la communauté œcuménique de Bose, en Italie, dans son article détaillant les conditions auxquelles les laïcs pourraient prêcher dans un cadre liturgique.
L'argument en faveur d'un changement n’est pas qu'il « moderniserait » l'Eglise, mais plutôt qu'il est un retour à la tradition du premier millénaire du christianisme – comme le soulignent Bianchi et les autres auteurs du dossier – quand les femmes ont été autorisées de prêcher « à plusieurs reprises et souvent l'ont fait devant des prêtres, des évêques et même le pape », précise RNS. Dans son éditorial, sœur Catherine Aubin, une dominicaine française membre de la rédaction du supplément, note que Jésus a encouragé les femmes à prêcher son message de salut, précisant que dans toute l'histoire de l'Eglise, il y a eu de nombreuses et « extraordinaires évangélisatrices ». « Les femmes prêchent déjà, en conduisant des retraites et en donnant des conférences dans des lieux où les hommes le font depuis longtemps », fait-elle valoir. « Posons-nous sincèrement une question, poursuit-elle : pourquoi ne peuvent-elles pas alors prêcher devant tout le monde durant une célébration ? »
« Cette proposition ne m’étonne pas, réagit Anne-Marie Pelletier, exégète de renom, lauréate du prix Ratzinger 2014. C’est le support qui est nouveau. Le fait que ce thème soit abordé dans L’Osservatore Romano est très important ». Anne Soupa, cofondatrice de la conférence catholique des baptisé-e-s francophones (CCBF) et du comité de la jupe, qualifie la publication de « significative », mais note que la proposition ne semble pas « portée par un dicastère ». Et de s’interroger : « Quel relais à cette proposition ? C’est ça le plus important ! Mais peut-être que cette publication va alerter le pape ? » Elle la juge « essentielle, car il est urgent de donner la parole aux laïcs ».
Pour Anne-Marie Pelletier, cette proposition « résulte d’une reconnaissance du sacerdoce baptismal, développée dans l’Eglise depuis Lumen Gentium » (constitution conciliaire rédigée par Vatican II, ndlr). Elle estime que la mission d’évangéliser est une des conséquences de la reconnaissance du sacerdoce baptismal et que « la parole en découle ». Elle souhaite également « une évolution » sur la prise de parole laïque au cours de la messe. « Récemment, lors d’une retraite que je prêchais, l’homélie de la messe a été supprimée et j’ai eu la parole après la messe, en lieu et place de cette homélie ».
Une proposition encadrée
L’exégète se félicite que la proposition formulée par Enzo Bianchi soit « très encadrée » : « il s’agit bien d’une délégation de la part de l’Eglise. Sans faire n’importe quoi, on reconnaît possible la valeur de la parole des laïcs. » Le prieur de la communauté de Bose met en effet une série de conditions à cette pratique : il souligne d’abord « l’absolue nécessité d’un ’mandatum praedicandi’, même temporaire, accordé par l’évêque à un fidèle, homme ou femme, qui soit bien formé et ait le charisme de la prédication ». Enzo Bianchi insiste également sur la « présidence unique » d’une célébration eucharistique : c’est au président de « charger rituellement » le laïc de prononcer l’homélie, en lui donnant une bénédiction. Enfin, il précise que le laïc appelé à prêcher « le fait par charisme et par institution, c’est-à-dire avec la conscience de posséder un don utile aux autres et le besoin d’un mandat qui l’inscrive dans la tradition ».
« Il ne fait aucun doute pour les fidèles laïcs en général, mais surtout pour les femmes, que cela constituerait un changement fondamental dans leur participation à la vie de l'église », poursuit Enzo Bianchi, qualifiant un tel changement de « chemin décisif » afin de répondre aux nombreux appels – formulés par le pape François lui-même – à trouver des moyens de donner aux femmes un plus grand rôle dans l'Eglise.
Lors de l'audience générale du 3 avril 2013, quelques semaines seulement après son élection sur le trône de Pierre, le pape revenait sur le rôle « primordial, fondamental » des femmes dans l'annonce de la foi. « N’est-ce pas Marie-Madeleine qui a été chargée par le Christ lui-même d’évangéliser les apôtres ? », interroge le frère Olivier de Saint Martin, prieur des dominicains de Toulouse, également professeur de théologie sacramentaire et de liturgie. Et Enzo Bianchi d’évoquer les voix qui, régulièrement, demandent « une plus grande valorisation de la femme dans l’Église, une plus grande participation aux institutions qui la régissent et l’organisent ».
Actualiser une pratique
Pour le fondateur de la communauté de Bose, « la prise de parole dans l’assemblée liturgique de la part des fidèles » - le fait de pouvoir prononcer « simplement » une « homélie » - constitue une forme de réponse à cette demande, puisqu’il est désormais reconnu que « tous les fidèles » sont appelés à la mission d’évangéliser. Sa proposition vise, de fait, à actualiser une pratique qui a déjà eu cours dans l’Eglise.
Au début du 13ème siècle, dans le cadre du mouvement visant à consolider la puissance de l'Eglise à travers la papauté et le clergé, le pape Grégoire IX exclut les laïcs – hommes et femmes – de la prédication, en particulier sur les questions théologiques ou doctrinales, considérées comme réservés aux clercs instruits.
Dans son article, Enzo Bianchi note qu’en 1973, peu après le Concile Vatican II, le Vatican a autorisé la Conférence des évêques allemands à permettre à certains laïcs – pour la plupart des femmes – de prêcher avec une autorisation spéciale pour une période expérimentale de huit ans. La révision du Code de droit canonique que Jean-Paul a promulgué en 1983 a déclaré que l'homélie « est réservé à un prêtre ou d'un diacre », car elle fait partie intégrante de la messe et doit être fait par un homme ordonné agissant dans le rôle du Christ.
Puis, en 1997, un document du Vatican signé par huit dicastères a cherché à renforcer encore cette interdiction, rappelant aux évêques qu'ils ne pouvaient permettre aucune exception. Pourtant, alors que le Vatican soulignait la distinction entre les laïcs et les clercs ordonnés, les laïcs – dont beaucoup de femmes – prenaient une part plus visible à la messe en tant que lecteurs et ministres extraordinaires de la communion. Les filles ont également été autorisées à servir à l’autel.
« L'écoute de la voix des femmes au moment de l’homélie enrichirait notre culte catholique »
Une autre dominicaine, sœur Madeleine Fredell, écrit, toujours dans L’Osservatore, que la prédication « est [sa] vocation dominicaine, et bien que je puisse le faire à peu près partout, parfois même dans une église luthérienne, je crois que l'écoute de la voix des femmes au moment de l’homélie enrichirait notre culte catholique ». Pour Anne Soupa, cette participation des laïcs à la prédication des homélies permettrait « une parole plus ancrée dans la vie réelle à travers ses réalités professionnelle, familiale et associative. Se priver de toutes ces dimensions essentielles, c’est dommageable pour l’Eglise ».
Pour Olivier de Saint-Martin, accorder aux laïcs le droit de prêcher une homélie dépasse largement la question de l’égalité : « Les évolutions dans l’Eglise ont été apportées pour approfondir et faire mieux connaître le message laissé par le Christ, pas pour suivre une évolution sociétale ». A ses yeux, une telle proposition « n’est pas une simple question de prédication accordée à l’un ou à l’autre : elle interroge le sacrement de l’ordre, qui contient la prédication homélitique et la célébration des sacrements » et le statut particulier de l’homélie. « Dès lors, les questions sont nombreuses, poursuit-il. Est-ce une prédication comme une autre ? La prédication à la messe a-t-elle le même statut que lors d’une retraite ou une veillée de prière ? Dans quelle mesure est-elle un acte de prolongement du Christ ? » Et de conclure par la nécessité de « bien saisir ce qu’est cette prédication particulière en allant creuser dans la théologie du presbytérat ».
Alors, que va faire François ? Le pontife a plaidé à plusieurs reprises pour un rôle plus important des dans l'Eglise, mais il a également réitéré l'interdiction d’ordonner des femmes prêtres et mis en garde contre la « cléricalisation » des femmes en essayant d'en faire des cardinaux ou en se concentrant sur leur promotion à des postes-clés dans l’Eglise.
Mais le fait que Donne Chiesa Mondo consacre tant d'espace à la question de la prédication des femmes « éveille la curiosité », confie à RNS Massimo Faggioli, historien de l'Église à l'Université de St. Thomas dans le Minnesota. « Je pense que c’est un signal fort », estime-t-il. Lucetta Scaraffia, responsable du supplément féminin de L’Osservatore Romano depuis sa création en mai 2012, voit cette proposition comme un « premier pas » : « Nous verrons bien s’il y a une réponse au Vatican ». La journaliste italienne rappelle la nécessité pour ce supplément de « lancer des impulsions ». Et de conclure : « Notre mission est de parler et de proposer ».
Anna Latron