L’Aveyron, visage de la France engagée : Reportage auprès des déboutés du droit d’asile
10 mai 2016Je me suis rendu en Aveyron au début du mois de mai, poursuivant la mission confiée par Arnaud Favart et qui prend la forme concrète d’une série de reportages sur l’accueil des migrants. J'étais accueilli par Danyèle et Michel Régis, membre de la Communauté Mission de France qui avaient organisé tout un circuit.
Après avoir visité avec Gillette Gillet le nouveau campement de Synthe construit par Médecins sans frontière, rencontré la communauté de Ludres près de Nancy, solidaire de familles Albanaises menacées de mort par la mafia, rencontré Philippe Plantevin, l’ami des Roms de St Fons près de Lyon avant que la police ne les chasse un peu plus loin, je me suis retrouvé dans ce département du sud de la France, paisible, rural, dynamique.
Ici quelques 300 personnes de toute sensibilité, réparties sur une douzaine de localités, se sont mobilisées pour venir en aide aux réfugiés, déboutés du droit d’asile avec souvent l’appui des élus locaux et des paroisses, mobilisées avant tout par le spectacle scandaleux de ces familles à la rue, l’appel du Pape François et l’émotion suscitée par l’exode massif et tragique des réfugiés du proche orient.
C’est le scandale des familles dormant dans la rue qui a provoqué indignation et mobilisation de tous et notamment les deux principaux acteurs : le collectif des sans-papiers et réfugiés de Rodez et la pastorale des migrants.
Danyèle et le service de la pastorale des migrants, sont allés à la rencontre de tous, ont organisés une rencontre publique de 80 personnes issues de tout le département, ont dialogué avec l’Evêque qui est venu à la rencontre, ont favorisé la constitution de collectifs locaux
Aujourd’hui ces collectifs sont au nombre de six, ils regroupent des participants de toute sensibilité et sont organisés principalement dans le cadre de l’association « jamais sans toit » qui vient en aide à une vingtaine de familles ou personnes seules.
Les autorités font aujourd'hui le choix de débouter massivement les demandeurs d’asile ce qui est lourd de conséquences. En 2015 l’OFPRA a accordé le statut de réfugié à 17% des 80 000 demandes d’asile sur le territoire français, laissant 66 000 personnes dans la nature alors qu’ils sont déterminés à rester.
Certains demandeurs d’asile ont de la chance et sont pris en charge par les CADA, leur régularisation via l’OFPRA étant alors de 60%,
D’autres doivent se contenter de la rue ou des hébergements d’urgence organisés par l’Etat en vertu de l’article 345 du code de l’action sociale, ce qui les contraint à une forme d’errance de ville en ville, d’abri en abri, et à vivre sous la menace permanente d’une expulsion du territoire, à vivre dans des conditions scandaleuses de « fantôme » sans logement, sans ressources, sans autorisations de travailler, sans lieux d’accueil.
L’Aveyron dont le recours au 115 a progressé de 40% entre les hivers 2014 et 2015, un des taux le plus fort de France, a connu ainsi plusieurs familles avec enfants séjournant plusieurs mois dans la rue avant que la préfecture ne se décide à leur proposer un abri via le 115. Au-delà les aides de l’Etat sont inexistantes et les régularisations se font au compte-goutte pour des raisons de santé ou humanitaires.
Certaines municipalités font le choix de s’investir et la ville de Rodez a ainsi proposé 30 appartements dont six seulement sont occupés à ce jour, tandis que l’Evêché en proposait trois, et l’état six, désormais occupés par des Kurdes ayant transité par Calais.
Ces réfugiés sont arrivés majoritairement en famille avec de jeunes enfants, originaires du Bangladesh, Géorgie, Kosovo, Russie, RDC, Irak, Maghreb. Ils ont tout perdu et montrent une grande détermination.
Le dépaysement est cependant radical et certains craquent comme cette femme, mère de famille de deux enfants à la rue et ayant tenté trois fois de se suicider.
L’objectif des collectifs est d’accompagner ces familles pour préserver leur dignité tout en restant dans la légalité. Les familles sont logées dans de beaux locaux réhabilités et mis à disposition par les paroisses ou les mairies moyennant un loyer, leurs enfants sont tous scolarisés, la défense juridique est organisée.
Nous avons pu rencontrer quelques familles à Entraygues, Nuces et Naucelle, localités de 1000 à 2000 habitants, beaux villages noyés dans la verdure : Andria et Nino, sont sortis de la rue où ils ont vécu plusieurs mois avec leurs deux enfants avant d’entrer au Cada, leur fils Romani, âgé de 12 ans est vice-champion national de boxe Kamia et Anup qui quittaient le Cada pour Toulouse poursuivre leur formation universitaire apres avoir été déboutés ; Mamuka, maçon et jardinier hors pair et sa souriante épouse Nino et leurs 2 enfants. Ruslan et Elmira, parents de trois enfants. Attention à ne pas commettre d’infraction, même au code de la route, vous risquez l’expulsion immédiate du territoire. C’est la mésaventure qui est arrivée à Mamuka pour avoir conduit sans permis et qui a du laisser derrière lui sa femme et ses deux enfants. Les gendarmes l’avaient soigné qui lui avaient également collé une conduite en contre- sens sur une route à double sens...
Les collectifs sont dynamiques, se coordonnent, se renforcent, ils interpellent l’Etat qui ne fait pas son travail, tout en collectant les fonds qui permettent de payer les loyers, accompagnent les familles dans l’ensemble de leurs démarches, donnent des cours de français, le tout dans une belle proximité amicale qui est sans doute la caractéristique majeure de ces engagements. C’est l’occasion de soutenir les liens sociaux qui ici comme ailleurs se délitent.
La préoccupation actuelle des collectifs est de favoriser l’autonomie des familles notamment par la création d’activités : groupe d’employeurs, réseau SEL (échange par monnaie locale), chantiers d’insertion, jardins de cocagne, brocante, et de chercher une plus forte contribution des familles au-delà de ce qui est déjà fait : bâtiment, jardinage, couture.
Le réseau de Villefranche de Rouergue (12 000 h) qui héberge quatre familles a organisé pendant mon séjour une rencontre qui a réuni quarante personnes afin précisément de rechercher comment renforcer l’autonomie des familles.
Il est étonnant de constater qu’il y ait si peu de Syriens en Aveyron comme en France (500 en juin 2015 selon Amnesty) alors que 4 millions d’entre eux ont dû quitter leur pays
Il est consternant qu’a leur arrivée en France les réfugiés soient chassés par la police comme cela vient de se produire à Paris au métro Stalingrad (1600 personnes) et au lycée Jean Jaurès (300 personnes), lycée pourtant fermé depuis cinq ans. Ils ont le tort de ne pas être Syriens et les appartements de Rodez resteront vides…
Il est encore plus consternant de voir l’Europe signer les accords de Dublin conduisant à refouler les demandeurs d’asile vers le premier pays d’arrivée en Europe, et encore signer un accord scélérat avec la Turquie qui permettra de refouler vers la Turquie les 50 000 migrants déjà arrivés en Grèce et qui sont comme l’écrit un journaliste de l’AFP Bülent Kiliç « en train de perdre la raison » tant est inhumaine la situation qui leur est imposée.
Il est pourtant un impératif moral absolu de porter secours aux personnes en danger consacré dans le droit par la convention internationale de Genève et les principes clairs et universels posés dans l’Evangile de Mathieu au chapitre XXV.
« Je rêve d’une Europe qui promeut et défend les droits de chacun, sans oublier les devoirs envers tous. Je rêve d’une Europe dont on ne puisse pas dire que son engagement pour les droits humains a été sa dernière utopie, Je rêve d'une Europe où être migrant ne soit pas un délit" a déclaré le Pape François le 4 mai devant les dirigeants européens
Olivier CHAZY
Equipe Précarité Mission de France Paris
7 mai 2016