"Athée moins un" par Martin Steffens

Quand je parle avec un athée, je suis souvent déçu : non pas parce qu’il est athée, mais parce qu’il l’est rarement jusqu’au bout. Il ne croit en rien – sauf en cette croyance elle-même qui donne à son athéisme des airs supérieurs. Je me dis parfois que l’athée a assez de confiance en lui pour n’en avoir pas en son Créateur. Le récit de libération par l’humanité de ses propres superstitions est si puissamment ancré (et encré) en lui, que la difficile création par Dieu d’un peuple libre de tous les esclavages (technique, politique, religieux) ne peut plus l’atteindre. L’athée « croit savoir ». Le chrétien, lui, « sait qu’il croit » : il met sa confiance en Dieu. Confiance faite et refaite, dans le doute et l’espérance. Confiance donnée en un Dieu qui a promis. Confiance dont il fait une prière : « Vois, mon Dieu, je suspends ma vie à Ton amour… Alors révèle-le encore ! »

Le véritable athée est chose rare. Quand, moi-même, je croyais l’être, je le rencontrai chez mes amis chrétiens plus qu’ailleurs. L’Église primitive passait pour incroyante. Si, dans leur genre de vie, les chrétiens se conformaient aux usages de leur pays, sur un point ils se démarquaient : ils refusaient de plier le genou devant l’empereur. Ce genou, que raidissaient les grandeurs du monde, flanchait devant de très simples choses : une mère à l’enfant, le pain quotidien, le dieu abaissé, condamné à mort par les puissances de l’État (Pilate), de l’argent (Judas) et de la religion (Caïphe).

Oui, le chrétien a quelque chose de l’athée. Il n’adore aucun Dieu, sauf un, dont il accorde que, parfois, Il se tait. Seulement, il ne conclut pas du silence de Dieu à son inexistence. Quand le monde semble démentir l’Alliance, quand Dieu devient « plus absent qu’un mort » (Simone Weil), l’oreille du chrétien ne se ferme pas, elle se creuse. Le chrétien est un athée qui attend.

Martin Steffens

La Croix, 27-28 août 2016

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