“Pour les migrants, les diocèses peuvent mieux faire“
09 sept. 2016Il y a un an, le pape François appelait toutes les paroisses catholiques d'Europe à accueillir une famille de migrants venue de Syrie ou d'Irak. Le service de la Pastorale des migrants de la Conférence des évêques vient de publier un rapport chiffré sur les actions entreprises localement. Seuls 43 diocèses ont répondu à l'enquête, dont 38 ont pu dénombrer les accueillis. On obtient au niveau national les chiffres, très parcellaires, de 2100 personnes hébergées et 2300 accompagnées. Ancien député-maire de Versailles, Étienne Pinte organise dans sa paroisse des Yvelines l'accueil des migrants. Il réagit au document de l'épiscopat.
Le rapport sur l'accueil des migrants dans les diocèses
Que vous inspire ce rapport ?
Il est toujours utile de faire le point. Je me demande pourquoi certains diocèses sont moins engagés que d'autres. Mais il faut dire que des paroisses très mobilisées, ayant mis en place une équipe pour les différentes taches, n'ont pas trouvé de familles à accueillir... En France sont arrivées peu de familles avec enfants. Bien plus que les diocèses, c'est le bouche-à-oreilles et les réseaux d'amis qui ont mis en contact les migrants et leurs hôtes.
Pourquoi parlez-vous des familles uniquement ?
Tel était le message du pape. Il estimait que les réfugiés les plus fragiles étaient des familles, avec les enfants, parfois avec un seul des deux parents. Dans les Yvelines, nous avons reçu des consignes à travers un message de l'évêque aux curés, proposant des repères, les choses à faire et à ne pas faire. Par exemple, il était demandé ne pas accueillir chez soi, autant que faire se peut, pour ne pas provoquer de cohabitation difficile pour tout le monde. Il a fallu trouver des logements autonomes, y installer les familles et ensuite les accompagner dans les démarches (administrations, scolarisation, apprentissage du français...).
Le document de l'épiscopat mentionne des réfugiés en provenance d'Irak, de Syrie, mais aussi d'autres pays...
Je souhaiterais connaître plus précisément les nationalités des migrants. On ne prend pas en charge les uns comme les autres. De même, il y deux catégories de réfugiés : ceux qui demandent le droit d'asile, et les autres. Pour ces derniers, tout est plus complexe. Nous accueillons des familles d'Alep (Syrie) qui gardent le contact avec leur pays d'origine, y retournent parfois et ne veulent pas perdre leur passeport syrien en devenant réfugiés. J'aurais aimé aussi que l'on indique la qualité des personnes reçues. Les familles accueillies à Versailles sont de très haut niveau culturel et professionnel : une pédiatre, trois ingénieurs en BTP, deux chefs d'entreprises, des professeurs, un dentiste...
Certains diocèses ont mené des initiatives uniquement à destination de chrétiens. Peut-on concevoir un accueil pour une communauté exclusive ?
De fait, les autorités de mon diocèse ne nous ont pas encouragés à accueillir des musulmans. Selon notre évêque, l'accueil de chrétiens facilite l'insertion et le rôle de la paroisse. Lors d'une réunion, j'ai demandé comment agir quand on rencontre des familles musulmanes. On m'a répondu qu'il fallait alors concevoir l'accueil dans un projet communal, associatif ou mixte, mais pas dans un cadre uniquement paroissial. Dans nos paroisses, certains ont franchement exprimé le souhait de ne pas recevoir de musulmans. Mais quand un enfant se noie en Mer Égée, va-t-on lui demander sa religion avant de le sauver ? On ne peut pas faire de tri entre réfugiés, tous amenés à se déraciner. À Versailles, nous avons reçu une famille musulmane à la rue avec quatre enfants mineurs. Le père, sunnite, enseignait dans une université dirigée par des chiites. Poursuivi, il a dû partir.
L'étroite collaboration avec d'autres associations est également mentionnée.
C'est très important. Le Secours catholique ou les jésuites avec le programme Welcome sont très impliqués. Pour meubler les appartements, on travaille avec Emmaüs ou la Croix-Rouge. Il est indispensable de créer des réseaux entre les paroisses, et au-delà avec le monde associatif.
Quel message transmettre aux diocèses et aux paroisses qui hésitent à s'engager ?
D'abord dire que nous ne sommes pas « envahis ». D'autres pays reçoivent ou ont reçu bien plus de migrants, comme la Suède ou Allemagne. La France s'est engagée à héberger 3200 personnes. Ne sommes nous plus à même d'accueillir, comme jadis en 1962 avec plus d'un million de rapatriés d'Algérie, puis dans les années 70 et 80 avec 120.000 Vietnamiens ? Nous pouvons mieux faire. Ensuite, il ne faut pas se décourager face au parcours du combattant que représentent les procédures administratives à mener pour chaque migrant.
Étienne Pinte préside également le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE).
Entretiens avec Philippe Clanché