Les évêques appellent à refonder la politique

La Conférence des évêques de France sort vendredi 14 octobre un livre adressé aux « habitants » du pays pour « retrouver le sens du politique ». Posant un regard inquiet sur la dégradation du moral des Français, les évêques invitent à une « refondation » par un nouveau « contrat social » plus inclusif. Ils défendent aussi la place des religions dans la société à travers « une laïcité ouverte ».

« Il y a de la tristesse dans notre pays aujourd’hui. » C’est ce qu’observent les évêques de France, qui au contact de concitoyens le plus souvent déçus voire désabusés par la politique, veulent aider le pays à se ressaisir et à « retrouver le sens du politique » dans un livre rendu public jeudi 13 octobre (1), signé du Conseil permanent de la conférence épiscopale. Un texte court, accessible et général, avec très peu de références religieuses car il ne s’adresse pas qu’aux catholiques, ni aux seuls Français mais à tous les « habitants de France ».

Ce n’est pas la première fois que les évêques français abordent la politique. Ils avaient déjà communiqué, en juin, en vue des scrutins de 2017. Mais un nouveau texte a été jugé nécessaire tant la société française paraît « inquiète, anxieuse, insatisfaite », comme l’a dépeinte Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille et président de la conférence des évêques de France (CEF), en présentant l’ouvrage à la presse.

« Notre société semble comme à fleur de peau, à vif », décrivent les évêques dans ce livre où ils s’inquiètent des postures toujours plus contestataires, raides, parfois violentes, ou à l’inverse une attitude de désenchantement allant jusqu’au rejet désabusé de la politique.

Un « pays généreux mais en attente »

À la base de ce climat pesant, les évêques relèvent d’abord le « discrédit » dans lequel est jetée la classe politique aujourd’hui. Ils déplorent le comportement d’élus aux antipodes de l’idéal du service désintéressé, qu’incarne la figure citée de Robert Schuman.

Mais les Français sont aussi renvoyés à leurs propres contradictions. Ils veulent des autorités publiques plus présentes mais se plaignent dès qu’elles se font intrusives. Le désir du risque zéro engendre une surproduction de normes jugées ensuite trop contraignantes. « La difficulté de réformer est une autre bonne illustration des paradoxes de notre pays », relèvent les évêques, impressionnés en même temps par « la générosité, la créativité et l’inventivité »dont la France fait preuve.

Dans ce « pays généreux mais en attente », qui a besoin de « se retrouver » pour reprendre « élan et unité », les évêques estiment venu le temps d’une« refondation ». Celle-ci exige pas moins que de « repenser le contrat social », une référence inhabituelle dans le vocabulaire ecclésial mais incontournable en philosophie politique (lire page 4).

Redonner un sens à la vie ensemble

De fait, des parts entières de la population (chômeurs en fin de droits, SDF, étrangers) échappent aujourd’hui au rapport entre gouvernés et gouvernants tandis que d’autres redoutent d’y être relégués dans un état général« d’insécurité sociétale », selon l’expression des évêques.

Plus largement, la réduction de la politique à des tâches gestionnaires ou des arbitrages entre intérêts la détourne de son rôle originel qui est de donner du sens à la vie ensemble : « Le “je” semble pris en compte mais il a du mal à trouver sa place dans un “nous” sans véritable projet et horizon. »

Pour que le contrat social soit « renoué, retissé, réaffirmé », les évêques de France posent quatre principes. Le premier est d’accepter la « différence culturelle ». « Notre tête est travaillée par le risque de l’islam en France sans voir ce qu’une population nouvelle peut apporter comme richesse », a regretté Mgr Pontier, refusant le « repli sur soi ».

Éloge du compromis

Sur ce thème, le livre prend part au débat, en cours durant la campagne présidentielle, sur l’identité nationale, le jugeant important tant « il devient plus difficile de définir clairement ce que c’est d’être citoyen français ». Dans un éloge de la diversité et de la cohésion, les évêques rappellent la tradition d’intégration des populations étrangères inhérente au christianisme. Sans dénoncer l’instrumentalisation politique de ce dernier à des fins contraires.

Mais les différences que doit conjuguer la France ne sont pas seulement culturelles. Elles touchent aussi aux fondamentaux de la société, s’inquiètent les évêques. « Il n’y a plus, ou de moins en moins, de vision anthropologique commune dans notre société », déplorent-ils, en allusion explicite aux débats sur le mariage homosexuel et sur l’euthanasie.

Le principe-clé ici est la vraie recherche du compromis. Alors qu’il n’est considéré que comme un boiteux « entre-deux », le compromis retrouve dans ce livre toute sa noblesse politique.

Les catholiques doivent prendre leur place politique

Et les catholiques doivent avoir toute leur place dans sa quête. Refonder la politique exige, pour l’Église, que notre République sache développer une« laïcité ouverte », c’est-à-dire qui ne prive pas les croyants d’exprimer leur conviction au nom d’une « neutralisation religieuse de la société ».

Sans attendre la sortie du livre, les évêques reçus avant-hier à Matignon autour de Manuel Valls, dans le cadre de l’instance nationale de dialogue, ont redit également « leur conviction qu’une société qui éliminerait les religions de la sphère publique se priverait d’indispensables régulateurs sociaux et sociétaux ».

À l’adresse aussi des fidèles toutefois, l’ouvrage insiste sur l’importance de faire preuve sans relâche d’un « véritable respect pour ceux qui ne pensent pas de la même manière » qu’eux : « S’il faut parfois donner un témoignage de fermeté, que celle-ci ne devienne jamais raideur et blocage », tempèrent les évêques, qui n’avaient pas tous le même positionnement à l’égard de la « Manif pour tous ».

Amorcer la refondation

Au final, c’est à « l’engagement de tous » qu’incitent les évêques français. Une invitation à s’impliquer pour la collectivité à divers niveaux (associatif, local, national, européen) afin de ne pas tout attendre du chef de l’État, autre principe-clé : « Retrouver la vraie nature du politique et sa nécessité pour une vie ensemble suppose de s’y disposer, de le choisir, de le permettre. Cela ne tombera pas du ciel ou par l’arrivée au pouvoir d’une personnalité providentielle. » Une mise en garde qui tombe à point avant l’élection présidentielle.

Mais ce livre vise au-delà de cette seule échéance. Le questionnaire concluant les 71 pages de réflexion sert à poursuivre celle-ci au sein des paroisses, des mouvements d’Église et parmi tous les « habitants de France » qui l’auront en main.

Pour sa part, Mgr Pontier compte l’offrir « aux élus avec lesquels il travaille ». Une manière pour les évêques non pas de jeter un pavé dans la mare mais d’amorcer une dynamique de patiente « refondation ».

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Les évêques de France et la politique

• En 1991, la commission sociale de la Conférence des évêques de France publie le document Politique : affaire de tous, qui s’adresse à « des Français qui vivent un temps de désillusion et de reflux des grandes idéologies ».

• En 1999, la même commission publie une nouvelle déclaration, Réhabiliter la politique, dans laquelle les évêques constatent déjà que « le sens du politique tend à s’émousser et à se dégrader ».

• Publié en juin dernier, le texte 2017, année électorale : quelques éléments de réflexion se penche plus précisément sur les élections à venir. Appelant de leurs vœux un « authentique débat démocratique », ils mettent notamment en garde contre « une sorte d’hystérie de la vie publique ».

Sébastien Maillard

Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique, par le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France, coédition Bayard, Cerf, Mame, 90 p, 4 € en vente à partir du 14 octobre.

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