Les 500 manifestants pro-migrants (à gauche) n’auront pas croisé les 200 anti (à droite) dans cette commune de 2000 habitants (photos Boris Maslard)

Les 500 manifestants pro-migrants (à gauche) n’auront pas croisé les 200 anti (à droite) dans cette commune de 2000 habitants (photos Boris Maslard)

À chaud. La petite commune de Serquigny dans l’Eure a vu sa population presque doubler hier, avec deux manifestations concernant les migrants de Calais qui y ont été accueillis la semaine dernière.

«Vous allez à quelle manifestation, les fachos ou les gauchos ? » La petite commune de Serquigny, quadrillée par les gendarmes et coupée en deux, était hier la capitale Normande du débat autour des migrants. À la mairie les anti. À la salle des fêtes les pro. « Y’a du monde ce matin... Choisissez votre camp ! », plaisante un jogger à l’adresse d’un barrage.

À l’appel du Front National de l’Eure, une manifestation est organisée avec en guest star Nicolas Bay, pour protester contre l’installation d’une trentaine de migrants, quasiment tous Afghans, dans sept appartements de la commune. Devant deux cents personnes qui agitent drapeaux bleu-blanc-rouge et bleu Marine, le député européen dénonce au mégaphone « l’immigrationnisme fou de ce plan qui sacrifie nos compatriotes les plus modestes au profit d’immigrés illégaux ». Le président du groupe au Conseil régional et ses élus, ceints d’une écharpe aux couleurs normandes, sont reçus dans le bureau du maire PS Lionel Prévost.

À l’issue de l’entretien, le numéro 3 du Front national le fait copieusement huer par les manifestants qui le traitent de « collabo » (sic). Parmi eux, Roger en a assez de la « bougnoulisation de la France », mais relativise : « Syriens, Afghans ou Turkmènes, je m’en fous. Tant qu’ils ne sont pas musulmans ! » Pascal habite « en face d’eux » et fustige le fait que les migrants « laissent les fenêtres et les lumières allumées » tout le temps. « Normal, ils ne paient pas ! Il paraît même qu’ils touchent un salaire. Nous, les Dupont-Durand, on a le droit à rien ! » abonde Monique, qui s’inquiète : « Et notre identité ? » La locale, « depuis un demi-siècle », ne sait pourtant pas comment se nomment les habitants de la commune...

Pendant ce temps, d’autres Serquignaçais contre-manifestent à 300 mètres, juste en face de la micro-cité où sont accueillis les migrants. Ici aussi, un mélange d’habitants et de militants et des drapeaux bleu-blanc-rouge, mais aussi arc-en-ciel. Les cinq cents « citoyens du monde » sensiblement plus jeunes qu’à la mairie défilent un peu avant d’être arrêtés par les gendarmes, qui empêchent même les individus isolés de rejoindre la mairie par des chemins de traverse. Parmi les nombreux élus, les conseillers régionaux verts Claude Taleb et Laëtitia Sanchez, les socialistes Timour Veyri et Marc-Antoine Jamet sont là « pour faire échec au commerce de la haine ».

Dans les petites HLM au rose pâli de l’avenue Pierre Semard, on observe le manège de loin. Quand trois jeunes Afghans - qui disent vouloir rester dans la commune - en sortent discrètement, certains de leurs voisins tournent les talons. D’autres leur sourient ou les saluent des fenêtres. Devant son immeuble « Papillons », Bernard prend le soleil dans son fauteuil roulant. Si lui « n’a rien contre », d’autant que les migrants lui donnent « souvent un coup de main », ce n’est « pas le cas de tous [s] es voisins ».

En zone neutre, au bar PMU, on est plus mesurés. « Le migrant nouveau est arrivé, mais le vase est déjà bien plein » plaisante Bernard, un Calaisien exilé à Serquigny. S’il convient « qu’on ne pouvait pas laisser les Ch’tis se débrouiller tous seuls », il assure aussi « qu’un tiers d’habitants vivent déjà des aides ici ». Le quinqua s’interroge : « Ils sont polis, viennent ici acheter leurs cigarettes et des jeux à gratter. Mais si ça fait quelques heureux, dit-il en désignant le patron tout sourire derrière son bar, que vont-ils faire ici : il n’y a rien ! »

Les deux manifestations soigneusement tenues à l’écart « pour des raisons de sécurité » se dispersent dans le calme vers midi sans que leurs membres se soient croisés. Les pro étaient deux à trois fois plus nombreux que les anti, mais les accusations étaient les mêmes des deux côtés : « En face, ils ne sont pas d’ici, ce sont des militants hors-sol ». Pour Nicolas Bay, le nombre importerait peu : « Le but était symbolique, pas de faire une démonstration de force. Encore moins de se mesurer à des militants d’extrême-gauche crasseux, qui ne sont rien dans les urnes. Nous avons obtenu le départ des migrants de Perriers. La mobilisation continue ! »

À propos de l’épisode rocambolesque de l’hébergement très provisoire de 47 migrants dans ce village proche, le préfet de l’Eure Thierry Coudert explique : « Le flux attendu était plus important. Nous nous étions basé sur l’hypothèse maximale et les conditions d’accueil à Perriers étaient minimes ». Qui peut le plus peut le moins ? Pour lui, de toute façon, l’avenir de ces migrants « n’est pas dans le département »... « Le Front National n’a rien à voir là-dedans ! » renchérit la Préfète de Normandie Nicole Klein, qui rappelle que « c’est un flux, pas un stock » et fait œuvre de transparence après quelques flottements. Le site de la Préfecture recense en effet désormais presque au jour le jour le nombre de migrants présents sur le territoire normand. Au dernier comptage, on en dénombrait 603. Soit peu ou prou le nombre total de manifestants hier dans la
commune, où des journalistes
de France 2 commencent un tournage de trois mois pour un documentaire sur ces migrants. On
n’a pas fini d’entendre parler de Serquigny... Qui n’en demandait pas tant.

Joce Hue

Le contexte

Bilan. Fin octobre, la Normandie se disait prête à accueillir les migrants. Quinze jours plus tard, la promesse semble tenue, malgré quelques couacs et un accueil divers en fonction des communes et de leurs maires.

Définition. Un réfugié est une personne « persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques » (convention de Genève). Le terme de « réfugié économique » n’existe donc pas.

Délais. Le temps de l’instruction de la demande d’asile a été réduit à environ 8 mois désormais. Durant cette procédure, les demandeurs sont accompagnés par des travailleurs sociaux, suivent des cours et peuvent bénéficier de l’Allocation pour Demandeur d’Asile (6,80 euros par jour pour une personne seule, 10,20 euros pour un couple).

Refus. Environ 75 % des gens qui arrivent en France n’obtiendront pas l’asile et auront l’obligation de quitter le territoire.

 

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