La paix est possible en Syrie, par Michel ROY

Ces mots sont le titre d’une campagne menée par Caritas Internationalis à l’initiative des Caritas du Moyen Orient : oui, nous croyons à la paix en Syrie, nous y travaillerons ensemble aussi longtemps qu’il le faudra.

Nous sommes abreuvés par les médias français et occidentaux par la vision des États-Unis et de l’UE de la nécessité d’instaurer une démocratie en Syrie. Le printemps arabe portait ce projet dans ses gènes pour toute la région arabe. Il avait été précédé par l’intervention américaine en Irak, visant à chasser le dictateur sanguinaire Saddam Hussein. Il a ensuite poussé la révolution en Tunisie, en Égypte, en Libye, au Bahreïn, en Syrie. Nous avons vu, à part une réelle évolution en Tunisie, des drames partout ailleurs.

La volonté de promouvoir la démocratie pouvait-elle être naïve au point d’ignorer que le mouvement allait mettre le monde arabe à feu et à sang ? Les Frères Musulmans ne pouvaient que prendre de l’essor dans le monde sunnite.

Nous les avons vus progresser en Égypte, en Turquie, en Syrie, avec le soutien du Qatar et de l’Arabie saoudite, champions de l’Islam sunnite dans la région. Quant à la Syrie, la volonté du régime du Baath, parti unique hérité du modèle soviétique, de protéger ses intérêts et ceux des minorités, en particulier alaouites et chrétiennes, a immédiatement conduit à une répression totale des manifestations en faveur d’un changement de régime qui aurait amené les sunnites au pouvoir. La peur des chrétiens en particulier était de devenir des citoyens de second rang, comme ailleurs dans les régimes musulmans, de perdre leur égalité et leurs droits. Ils ont souvent rappelé comment la Syrie, avec un régime socialiste, avait réussi un développement que beaucoup auraient envié.

Cette répression a été massive, comme nous le savons, ne rechignant pas à utiliser les armes les plus létales, les plus atroces. Les droits de l’Homme n’ont cessé d’être bafoués par toutes les parties au conflit.

La Russie est entrée dans le jeu au fi l de ses alliances, en particulier pour préserver son influence dans la région, face à une poussée occidentale générale. Aux côtés des puissances chiites de la région que sont l’Iran et en partie le Liban, la Russie s’est engagée à fond, soutenant aveuglément le régime baasiste. Nous connaissons tous les conséquences de cette guerre internationale se déroulant sur le sol syrien : plus de 300 000 morts, plus de 13 millions de personnes directement affectées, la plupart étant déplacées à l’intérieur de la Syrie, plus de 5 millions de réfugiés principalement dans les pays voisins, des bombardements qui continuent, tuant militaires, miliciens et surtout civils. Le tout financé par les États soutiens, qui procurent armes en abondance, au lieu de se préoccuper d’une solution politique à cette guerre. La veulent-ils d’ailleurs ? On est toujours en droit d’en douter.

La seule solution pour arriver à la paix passe d’abord par un cessez-le-feu généralisé, voulu par toutes les parties et respecté. Il ne le sera que si les livraisons d’armes s’arrêtent et que les intentions politiques des soutiens extérieurs changent. Ce n’est pas encore le cas. Le régime ne peut accepter ce qui semblait se dessiner : une partition de la Syrie avec une nouvelle capitale pour un état sunnite : Alep. Il est tentant de faire une comparaison avec ce qui se passe en Irak à Mossoul. Là aussi, des combats intenses se déroulent, avec en perspective des pertes en vies humaines énormes. Plus d’1 million de civils vivent dans la ville. Qui pourrait penser que sa libération ne se fera pas dans le sang ?

Car la réalité, tragique, est bien que des gens meurent, des gens souffrent dans leur corps et leur âme, des gens sont contraints à fuir loin de la terre de leurs ancêtres.

Notre engagement est triple : apporter une aide humanitaire à ceux qui souffrent, qu’ils soient à l’intérieur de la Syrie ou réfugiés dans les pays voisins ; éveiller les consciences pour que les portes soient ouvertes à l’accueil en Occident et ailleurs des réfugiés qui pèsent trop lourd sur les seules sociétés de premier accueil et risquent de les déstabiliser à terme, et les accueillir dignement ; travailler à l’instauration de la paix, en engageant la communauté internationale à abandonner ses propres intérêts et en facilitant des négociations entre les parties syriennes, sur le modèle de la sortie de crise du Liban au début des années 90.

Il n’y a pas et il n’y aura pas de gagnants. Seulement des perdants. Nous ne pouvons pas rester tranquilles, complices de cette vision du monde qui nous berce tous les jours jusqu’à nous en rendre indifférents.

La refuser et nous dresser au côté des laissés pour compte, travailler à la paix, c’est notre devoir.

 

Michel Roy

Secrétaire général de Caritas Internationalis

 

La Lettre de Justice & Paix N° 218 - Novembre 2016

 

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