« Veiller sur la cité » : la place de la police dans une démocratie

Rien ne paraît plus contradictoire, à première vue, que démocratie et police. La démocratie implique la liberté des citoyens, donc leur non-soumission à quelque autorité extérieure que ce soit, alors que la police relève, qu'on le veuille ou non, de la contrainte, de la surveillance. « L’obéissance à la loi qu'on s'est prescrite, est liberté », affirme Jean-Jacques Rousseau...

Le policier exerce un métier difficile, mais s'il est un veilleur il l’exercera en se préoccupant du respect des principes essentiels qui nous lient les uns aux autres dans des sociétés démocratiques.

 

Et pourtant aucune société démocratique ne peut se passer de surveillance policière ; il ne s'agit nullement d'un résidu de pouvoir autoritaire, voire arbitraire. Car chacun voit bien que, si libre qu'il prétende être ; il lui est toujours possible de mécon­naître les lois, par ignorance, par mauvaise volonté, par désobéissance voulue, par simple caprice et volonté propre. Qui au volant de sa voiture n'a jamais fait d'excès de vitesse, pourtant sanctionnés en principe par le gendarme ? La démocratie ne suppose pas, sauf idéalisme irréfléchi, que toutes les libertés s'accordent entre elles, ou que jamais les citoyens ne soient en retrait par rapport à ce qu'ils devraient être. S'imposent donc des autorités qui obligent au bon ordre, à la sécurité, qui luttent contre l'insou­ciance, le quant-à-soi, l'Indifférence au bien des autres (imprudences sur les routes, négligence à payer ses impôts, combines en tous genres,…).

Besoin de veilleurs

On doit donc en conclure que toute démocratie a besoin de veilleurs, d'hommes et de femmes qui ont le souci et qui se doivent de faire res­pecter le bon ordre public, sans lequel nos sociétés connaîtraient le chaos et la violence. Ils ne sont pas au-dessus des lois, comme dans des régimes autocratiques, car le citoyen en démocratie doit pouvoir vivre, non dans la peur du gendarme, non dans la méfiance envers une autorité arbi­traire, mais dans la confiance. Le poli­cier est donc celui qui veille à la tranquillité publique, à cette atmosphère de calme où chacun peut vaquer à ses affaires en toute quiétude. Il n'est pas là pour tracasser les citoyens, à la limite même, comme tout bon veilleur, il doit s'effacer, ne pas s'imposer de manière trop voyante. Mais il doit d'au­tant plus être attentif, éveillé, vigilant pour détecter, y compris dans les atti­tudes les plus banales, des risques de dérapage, d'inconduite ou de trouble à l'ordre public. Ce qui suppose de sa part une sensibilité en éveil, une Intel­ligence des choses, un sens avisé de son rôle : pas seulement surveillant, mais veilleur. Bref le policier permet à la vie publique de se développer sans heurts, donc de s'épanouir dans la liberté de chacun et dans le respect de tous.

 

Veille et service

Faut-il dire à quel point le devoir de vigilance s'impose à tout chrétien, donc particulièrement au chrétien qui a pour métier d'être policier, à celui qui cherche son inspiration et trouve sa vocation humaine dans la référence à l’Évangile ? La lecture des Évangiles montre que l'appel à une vigilance per­manente constitue en quelque sorte le dernier message de Jésus à ses disciples. Veillez, ne dormez pas, ne vous laissez pas aller à l'assoupissement comme ceux qui ne mesurent pas l'importance du présent, qui mécon­naissent la nécessité de répondre ici et maintenant au souci des autres et aux appels de Dieu. Saint Paul reprend d'ailleurs avec force cette consigne, qui est plus qu'une consigne, à savoir que nous ne devons pas sombrer dans les ténèbres de la nuit, mais rester en éveil dans l'attente du Jour. Or l'exercice de veille suppose une extraordinaire mobilisation de soi, une attention forte à ce qui surgit et qui peut passer d'abord inaperçu, à ce que la plupart des gens insouciants ou somnolents ne verront pas ou minimiseront parce qu’ils ne sont pas état de voir clair. Le policier a donc une fonction éminente de veille sur la cité, non pour brimer, pour effrayer, pour exercer sa puissance sur autrui, mais tout au contraire pour permettre aux autres... de dormir. Je veux dire par là d'exercer leurs fonctions, leurs métiers, leurs responsabilités sans peur et sans le souci permanent des menaces venant d’autrui. Mous mesurons mal à quel point nos sociétés démocratiques sont des sociétés qui assurent cette sérénité à tous, justement parce que quelques-uns veillent à ce que soient assurés l’ordre public, la sécurité, la tranquillité entre tous...

Car nous pouvons vivre nous citoyens ordinaires, « les yeux fermés », parce que nous savons que d'autres veillent pour que régies et lois soient obser­vées, et pour que les contrevenants soient empêchés de nuire ou de léser autrui, dans ses biens ou dans sa personne. Veiller c'est donc servir les autres, en se faisant oublier d'eux pour qu'eux-mêmes puissent vivre sans peur et dans la confiance mutuelle.

Veilleurs démocratiques

Évidemment le policier qui cherche son inspiration dans l'Évangile, qui est donc vigilant, vit dans une société démocratique. Là encore ii trouve son inspiration dans un certain nombre de valeurs qui, quoique séculières, ont tout à fait à voir avec le message chrétien. La démocratie suppose des citoyens libres et fraternels ; elle sait aussi que ces citoyens ne sont pas des anges, qu'ils cherchent plus souvent leurs intérêts propres plutôt que celui de la cité, que certains même tentent de contourner les lois et utilisent mille formes de violence pour s'imposer aux autres, La démocratie n'est pas bêtement idéaliste ; elle doit faire respecter ses lois, et donc aussi faire respecter les valeurs de liberté et de fraternité. En ce sens la police a bien un côté répressif à l'endroit des contrevenants, mais elle se doit d'exercer cette répres­sion dans les limites de la loi et dans le respect des personnes (courtoisie, politesse, refus de la brutalité, sauf cas de résistance et de menaces...). Et ce souci d'honorer les valeurs démocratiques fondamentales trouve une puissante inspiration dans la vigilance évangélique. Le policier exerce un métier difficile, mais s'il est un veil­leur, il l'exercera en se préoccupant du respect des principes essentiels qui nous lient les uns aux autres dans des sociétés démocratiques. D'où un travail de critique de soi, de discussion avec d'autres sur les manières d'agir et sur les écueils à éviter. Si le policier veille pour les autres, il veille aussi sur lui-même pour éviter les excès, les abus... ou le sommeil. Ce discernement est d'autant plus néces­saire que le policier représente aussi ce qu'on appelle «la force publique », qu'il a un pouvoir de contrainte, et donc qu'au lieu de nourrir la confiance, son inconduite peut susciter la méfiance et la peur. Ce qui ne contribue certes pas à un exercice heureux de sa fonction... Mais s'il veille, il nourrit la vie démocra­tique, donc la confiance entre citoyens.

 

Paul VALADIER, Jésuite

« Le Veilleur » n°166 Février 2017

Pages 8 et 9

Le Veilleur est la revue de la Communauté Chrétienne « Police et Humanisme »

 

http://policeethumanisme.fr/

 

 

Retour à l'accueil